Une prof tourangelle plaide pour un français plus égalitaire

Rencontre avec Sophie Large, enseignante à l’Université de Tours.

Cet automne, un manifeste a été largement relayé… Publié par le site Slate il est le fruit de l’association d’enseignantes et d’enseignants qui ne veulent plus enseigner une règle de grammaire que vous et nous avons appris à l’école, une règle qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin.

Un exemple pour bien comprendre… Aujourd’hui, si j’écris « les cousins et les cousines sont rassemblés dans le salon », c’est grammaticalement correct : « cousins » est masculin, « cousines » féminin et pour l’accord du verbe « rassembler » c’est le masculin qui l’emporte. Ça, le groupe signataire de la tribune n’en veut plus. Il préconise plutôt l’emploi de la règle « de proximité » voulant que le verbe s’accorde avec le nom le plus proche. Donc : « les cousins et les cousines sont rassemblées dans le salon ». L’accord est féminin, vu que « cousines » est situé plus près du verbe. A l’inverse, on écrira « les cousines et les cousins sont rassemblés dans le salon ».

La Tourangelle Sophie Large fait partie des signataires de ce manifeste. Enseignante au département d’espagnol, elle nous a accordé un entretien pour détailler sa position… « Historiquement la règle voulant que le masculin l’emporte sur le féminin n’est pas linguistique mais politique. Elle a été explicitement instaurée pour asseoir la domination masculine et cela date du XVIIème siècle comme le montre de livre d’Éliane Viennot Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. Elle a été mise au point pour des raisons politiques et peut donc tout à fait être abandonnée pour les mêmes raisons. Avant il y avait notamment l’accord de proximité, c’est-à-dire qu’on faisait l’accord avec le substantif le plus proche qu’il soit masculin ou féminin. Cette règle dérive du latin, donc elle est linguistiquement plus logique. »

Pour appuyer sa démonstration, l’universitaire s’appuie sur des anecdotes glanées auprès d’enfants : « il y a deux ans je visitais le Château de Blois et la Galerie des Hommes Illustres avec des portraits. Un petit garçon de 8 ans a demandé pourquoi il y avait des femmes dans cette galerie des Hommes Illustres. Comme quoi l’idée que le masculin est neutre ne va pas forcément de soi. Elle pose question aux enfants, elle n’est pas naturelle. »

De fait, Sophie Large estime qu’il est possible de revenir en arrière : « on peut utiliser des termes qui ne sont pas marqués génériquement et permettent d’inclure tout le monde sans alourdir le discours. Il faut chercher des synonymes, décliner les terminaisons… Ça dépend du contexte en fait. » Elle poursuit : « tout est une construction, c’est une question d’habitude. On peut écrire d’une façon plus égalitaire, parfois même sans s’en rendre compte. Dans les messages professionnels ou personnels que j’envoie je fais toujours très attention à la façon dont je m’exprime pour ne pas reproduire cette règle inégalitaire. Parfois les gens ne s’en rendent même pas compte. C’est quelque chose qui crispe beaucoup mais qui peut tout à fait se faire sans que ce soit violent. »

Le manifeste publié par Slate a eu un vaste écho en France et à l’étranger, alors que les questions d’égalité entre femmes et hommes sont très présentes ces derniers mois dans l’actualité. Lancée dans la foulée de la démarche des enseignantes et enseignants, une pétition approche aujourd’hui les 32 000 signatures.

Sophie Large : « je constate que l’on en parle beaucoup en ce moment. On en parle pas forcément bien, les gens sont accrochés à leur langue, c’est quelque chose de très identitaire. Ils ont l’impression qu’on va leur enlever quelque chose alors qu’on cherche juste à rendre le discours plus égalitaire. C’est une question d’habitude. De plus la langue n’est pas du tout figée. L’exemple de cette règle du masculin qui l’emporte sur le féminin le montre bien puisqu’elle n’existait pas avant le XVIIème siècle. »

La Tourangelle ajoute : « j’explique à mes étudiants et à mes étudiantes que cette règle n’est pas tombée du ciel, qu’elle vient d’une histoire précise. Je leur explique que l’on peut récupérer d’autres règles que l’on employait auparavant et qui sont légitimes. C’est simple en plus l’accord de proximité. Il faut s’habituer, désapprendre une veille règle que l’on nous a inculquée sans nous apprendre d’où elle venait. Et quand on leur explique ils comprennent tout à fait les enjeux. »

Reste maintenant à rendre les choses plus officielles, par exemple en parvenant à convaincre l’Académie Française. Sophie Large sait que ça ne se fera pas tout seul… « L’Académie a toujours un train de retard sur les emplois. C’est toujours les usages qui entraînent les règles. On est donc assez confiants et confiantes dans l’avenir car c’est surtout une question d’utiliser ce langage, d’occuper l’espace pour faire évoluer les choses. Il y a du chemin à faire mais déjà c’est une bonne chose d’avoir amené ce débat sur la place publique. Ça va prendre du temps mais je crois que la société est prête pour ça. »

Propos recueillis par Olivier Collet

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