Récit détaillé des 6h d’audience consacrées à l’affaire qui avait éclaté fin mars 2014 suite à la publication d’une vidéo du mouvement Journée de Retrait de l’Ecole.
On ressort du tribunal de Tours l’esprit embrouillé. Ce jeudi, Dalila Hassan – ancienne représentante du mouvement Journée de Retrait de l’Ecole de Joué-lès-Tours – et Farida Belghoul – « meneuse » nationale dudit mouvement – comparaissaient pour diffamation et complicité de diffamation suite à la publication d’une vidéo le 29 mars 2014. La séquence, toujours en ligne, donnait à voir Mme Hassan racontant qu’un enfant de l’école Blotterie avait été forcé de se déshabiller par sa maîtresse en compagnie d’une autre élève. Qu’il avait été demandé aux deux petits de se toucher les parties génitales et de se faire des bisous. La plaignante est l’enseignante des élèves en question, qui a désormais quitté la région.
Lorsqu’elle a éclaté, cette affaire a déchaîné les passions en pleine campagne municipale et alors qu’un débat national sur l’enseignement d’une prétendue « théorie du genre » dans les classes faisait rage. Deux ans plus tard, la tension reste vive à en juger par l’affluence dans la salle et par la manifestation organisée devant le Palais de Justice avant l’audience, pour soutenir l’enseignante. Et malheureusement, malgré 6h de débats, le procès n’a pas permis d’obtenir de réponses franches. La présidente du tribunal a eu beau répéter à plusieurs reprises que ce n’était que la diffamation qui était en question dans cette procédure, tout cela est indissociable d’une question plus large et plus grave : les faits rapportés dans la vidéo ont-ils vraiment eu lieu ?
Pour l’internaute qui visionne la séquence, le doute n’est pas envisageable : « si nous ne protégeons pas nos enfants personne ne le fera à notre place (…) il faut lutter pour que ces abominations ne se produisent plus jamais » entend-on notamment. Les faits sont au présent, pas de conditionnel, Mme Hassan explique qu’elle n’a pas peur de témoigner à visage découvert pour dénoncer cette affaire. Mais quelle affaire ? Appelée à la barre, la gestionnaire en assurance soutient qu’elle évoquait… le fait que la directrice de l’école Blotterie ait refusé d’entendre l’enseignante incriminée suite au récit de la mère du petit garçon à qui on aurait demandé de baisser son pantalon à l’école. Ce serait ça,« les abominations ».
Si elle n’est plus engagée dans le mouvement aujourd’hui, Dalila Hassan raconte ce qui l’a motivée à l’époque : le fait qu’on ne lui fasse pas signer un papier avant d’emmener un de ses enfants voir le film Tomboy « où une petite fille se travestit en garçon. » Elle fustige aussi les ABCD de l’égalité défendus à cette période par le gouvernement pour lutter contre le sexisme et qui étaient testés dans plusieurs établissements : « sous couvert de l’égalité homme-femme on faisait la promotion de l’homosexualité. J’étais inquiète pour mes enfants. » Et elle se souvient les avoir retirés de l’école à trois reprises dans le cadre d’un mouvement protestataire afin de dénoncer cette mesure. Cependant, elle ne milite plus aujourd’hui car « les échanges avec les établissements m’ont rassurée. » A se demander pourquoi elle ne les a pas eus plus tôt…
Que faisait Dalila Hassan dans le bureau de la directrice de l’école Blotterie avec la mère de l’enfant qui aurait subi ces faits ? « Je ne la connaissais pas. J’ai apporté mon aide en tant que maman. On me l’avait demandée parce que j’étais gestionnaire en assurance et que j’avais des notions juridiques. » Assez sûre d’elle mais fébrile, l’accusée enchaîne sur la fameuse vidéo, tournée dans un appartement tourangeau le soir du vendredi 28 mars : « ce n’était pas mon idée mais j’ai accepté pour aider cette maman. »
C’est là que Faria Belghoul entre en scène : le jour du tournage, elle descend de Paris après avoir reçu un mail disant qu’il se passait « quelque chose de grave à Joué-lès-Tours. » Elle n’a pas cherché à en savoir plus, elle est venue tout de suite. « J’ai proposé de réaliser cette vidéo car cette maman n’avait pas été entendue » explique-t-elle dans un premier temps. Plus tard, elle soutiendra qu’il s’agissait seulement de filmer le compte-rendu de la réunion à laquelle Dalila Hassan avait assisté.
« Lorsqu’on s’inquiète du traitement d’un enfant à l’école, le moyen le plus simple c’est de porter plainte ou de faire une vidéo ? » interroge la présidente. « La vidéo était un moyen de pression sur la directrice pour qu’elle reprenne un rendez-vous » répondra Dalila Hassan expliquant qu’elle croyait qu’elle ne serait diffusée que sur un site interne… A la fin de son interrogatoire, elle estimera en quelque sorte avoir été manipulée.
Cependant, sur les faits de diffamation pour lesquels on l’accuse, Dalila Hassan a son histoire : elle n’a fait que relayer des propos. Mais par l’affirmative, sans nuance, lui est-il répondu. La défense soutient qu’on ne peut pas identifier l’institutrice, la présidente démontre le contraire en dix secondes : il n’y avait que deux enseignantes dans cette école et dans la vidéo il est fait mention de l’absence de celle à qui les faits sont reprochés pour un stage syndical. Hors, le 28 mars 2014, seule l’instit. n’était pas à l’école pour ce motif.
« Je ne me suis pas posé la question de comment l’institutrice recevrait ça, mon objectif c’était que la maman déposé plainte » argumente Dalila Hassan. Au cours de l’audience, aucune des deux prévenues n’émettra de regrets ni ne présentera d’excuses. Un peu plus tard encore, on franchit un nouveau pas dans l’absurde : « ce que vous conseillez à tous les parents dont les enfants sont victimes d’abus sexuels c’est d’appeler Farida Belghoul ? » demande la présidente. Dalila Hassan répond par l’affirmative.
Concernant Farida Belghoul, on a affaire à une femme toujours persuadée d’être dans le vrai avec son discours, soutenant mordicus qu’il y avait par ailleurs à cette période des livres érotiques partout à hauteur d’yeux d’enfants dans la médiathèque de Joué-lès-Tours, sans que l’on ne comprenne le rapport avec le dossier du jour, hormis pour semer des doutes. « J’ai considéré que ce récit correspondait à mon combat » explique-t-elle ensuite pour justifier sa démarche.
« Est-ce que vous reconnaissez qu’il est diffamatoire ? » demande la présidente : « non si les faits sont avérés, oui s’ils ne le sont pas » reconnait l’accusée qui s’emploie ensuite à minimiser son rôle dans l’affaire expliquant d’abord que c’est son caméraman qui a pris seul l’initiative de monter et publier la vidéo (un homme qui a depuis quitté la France et avec qui elle s’est fâchée allant jusqu’à porter plainte contre lui pour escroquerie) et ensuite que l’affaire de l’école Blotterie était en lien avec la campagne des élections municipales et une lettre signée du candidat de droite et futur maire Frédéric Augis dans laquelle il donnait son avis sur la théorie du genre, estimant qu’on voulait imposer son enseignement dans les écoles jocondiennes.
« Je suis surpris d’être cité » déclare dans la foulée Frédéric Augis, appelé à s’exprimer en tant que témoin. Il estime que l’enseignante a été diffamée mais raconte aussi que lors de sa campagne, quand il faisait du porte-à-porte, « certaines personnes ont évoqué des inquiétudes sur l’ABCD de l’égalité. J’ai reçu deux mamans un samedi et elles ont expliqué leurs réticences. Je ne stigmatise ni une école ni un enseignant, je reprends un débat national. » D’où sa lettre où on lit aussi qu’il soutiendra « toujours » les collectifs et associations qui se battent contre ces « théories et abominations. » Tiens, le mot « abominations », comme dans la vidéo. Coïncidence ? « Ce n’est pas un mot que l’on emploie tous les quatre matins » note la présidente. Mais aucun lien formel n’est établi entre Mr Augis et le collectif JRE, ni entre son staff de campagne et le mouvement.
En revanche, selon la défense, cette lettre a créé un contexte. « Quand notre société joue avec le feu, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des incendies. Quand des tracts sont diffusés, est-ce qu’on n’est pas en droit de considérer qu’il s’est passé quelque chose dans cette ville ? Est-ce qu’il n’y a pas un lien entre ça et l’élection de Mr Augis (de justesse, ndlr) ? » s’interroge l’avocat de Mme Belghoul avant de s’emporter : « j’ai honte, il n’y a plus de vie possible en société consensuelle. » Et, histoire d’ajouter de l’huile sur le feu : « on est quand même à la Blotterie, dans des milieux assez défavorisés où on laisse comprendre que ce serait mieux de classer l’affaire. »
Et l’enseignante alors ? Selon elle ce qui est dit dans cette vidéo est « aberrant » et elle affirme en réponse aux allégations des accusées : « on m’a vite reconnue. Les parents de mes élèves ont reçu des pressions. » Elle affirme avoir fait le nécessaire pour que la vidéo soit retirée, fait sur laquelle la défense s’interroge allant jusqu’à supposer qu’elle a été laissée en ligne « pour justifier des dommages et intérêts. » Ses avocats ont estimé qu’elle s’était retrouvée, sans que l’on comprenne pourquoi, « au centre d’un débat politique. » Dans la vidéo, « toute constitution des propos va dans le sens qu’ils ont vocation à être publiés. [Les accusées] n’avaient d’autre volonté que de promouvoir leur idéologie. Elles ont trouvé un prétexte. » La personne qui habitait l’appartement où elle a été tournée aurait affirmé devant les enquêteurs avoir entendu Farida Belghoul et son caméraman discuter de sa mise en ligne.
Un prétexte ou une véritable histoire scandaleuse ? A écouter les accusées et la défense, les faits rapportés par la maman ont une raison d’être et sont véridiques bien qu’ils n’aient jamais été prouvés malgré plusieurs auditions. Un exemple : celle de l’assistante de vie scolaire présente dans la classe avec l’institutrice qui disait que ce n’était « pas possible » parce qu’elle était là « tout le temps. » Ou alors le témoignage de la maman de la petite fille qu’on aurait forcée à se déshabiller qui l’a interrogée et qui n’en a jamais fait état.
La défense essaie de semer le doute : « d’après nos informations ce ne serait pas la fille d’une portugaise (la personne entendue lors de l’enquête, ndlr) mais la fille d’une tunisienne donc on n’a pas interrogé la bonne personne. » Argument N°2, lorsque le petit garçon a vu un médecin à Clocheville : « devant l’agitation de l’enfant il n’y a pas eu d’examen clinique. » Il ne voulait pas se déshabiller, c’est aussi ce qui aurait alerté sa mère et déclenché l’affaire. Et si elle n’a finalement pas déposé plainte ce serait juste « pour que l’on laisse son fils tranquille. » Bref, un mélange de théorie du complot, de défausse de responsabilité le tout formant un mic-mac complexe pour donner l’impression d’un dossier bancal.
En conclusion, selon la défense, les propos tenus dans la vidéo ne sont pas diffamants car ils rapportent seulement ce que raconte la mère du petit garçon et, de toute façon, ce serait plutôt le site YouTube sur lequel a été posté la séquence qui serait responsable vu qu’on l’y trouve toujours. Elle prétend aussi que les prévenues sont de bonne foi quand elles estiment toutes les deux avoir été dans l’ignorance sur la destinée réelle des images tournées. Suffisant donc pour les relaxer. De son côté, les avocats des parties civiles demandent 25 000€ de dommages et intérêts, notamment au titre du lourd préjudice psychologique de la plaignante.
Quant au procureur, il requiert la condamnation : « votre but c’était d’amener de l’eau au moulin du mouvement JRE. Je commence à me poser la question si ce n’est pas vous qui avez créé l’événement. C’était du pain béni. Vos actions s’essoufflaient un peu et voilà ce qu’il se passe. Farida Belghoul n’a jamais cherché à se demander ‘est-ce que je rêve ?’ (en entendant cette histoire, ndlr), je me demande où est la bonne foi. On se fabrique des preuves, vous n’avez même pas le courage de vos opinions. » Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 19 mai.
Olivier COLLET
Photo : une banderole devant le tribunal de Tours ce jeudi 23 mars 2016.