150 à 200 agriculteurs d’Indre-et-Loire touchent le RSA

Les crises climatiques de 2016 et les prix trop bas ont durablement affaibli les exploitations tourangelles. On fait le point.

C’est la grand-messe annuelle des professionnels de la terre : le Salon de l’Agriculture c’est toute la semaine, Porte de Versailles à Paris. Jeudi, 1 000 Tourangeaux sont notamment attendus sur place pour participer à une journée dédiée à l’Indre-et-Loire au sein du stand de la région Centre-Val de Loire. Avec environ 700 000 visiteurs, et en pleine campagne présidentielle, cet événement est un rendez-vous incontournable, une vitrine évidente pour nos spécialités locales et notre savoir-faire.

Et pourtant, cette année, l’ambiance n’est pas vraiment à la fête au sein du monde paysan de notre département. La cause est évidente : l’année 2016 a été catastrophique. A la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire, le chef de service Joël Lorillou explique qu’en plus de 30 ans de métier, il n’a tout simplement jamais vu ça : « aucune production n’a été épargnée. Historiquement, on a déjà connu une crise sur une filière (arboriculture, viticulture ou élevage), mais là elles sont toutes touchées. »

La dernière grosse crise comparable selon cet expert en charge de l’accompagnement des exploitations en difficulté, c’était lors de la sécheresse de 1976. 40 ans plus tard, il y a eu le gel du printemps qui a ravagé les vignes, puis les inondations de début juin qui ont noyé les cultures et enfin une sécheresse terriblement longue dans l’été. « En Touraine, une exploitation de céréales moyenne c’est cent hectares. Aujourd’hui, on estime que sur une telle surface on a entre 40 et 60 000€ de perte de chiffre d’affaire soit environ la moitié des recettes de l’année. » De plus, Joël Lorillou insiste bien, « chiffre d’affaire ne veut pas dire revenu. »

Résultat : après les charges, ce qu’il reste pour les agriculteurs c’est peau de chagrin : « on a des gens qui ont des revenus négatifs et n’arrivent plus à se rémunérer. La MSA (mutuelle des agriculteurs, ndlr) a sorti une étude et estime qu’environ 700 exploitations tourangelles ont, sur les années 2013, 2014 et 2015, des revenus moyens annuels inférieurs à 4 100€ soit 350€ par mois. Et ça, c’était avant la crise ce qui donne une idée de l’ampleur de la situation. 30 à 40% de nos exploitations sont aujourd’hui hyper fragilisées. »

Pour faire face à ce coup de massue, le chef de projet de la Chambre d’Agriculture tourangelle souligne que « globalement les partenaires banquiers jouent le jeu » en acceptant des reports de remboursements de crédits (sur, 3, 5 voire 7 ans) ou de nouveaux prêts. Mais ça ne fait pas tout : « certains ont puisé dans leurs réserves (l’année 2012 avait par exemple été très bonne pour les céréaliers et en 2014 les producteurs laitiers vendaient encore leurs produits à un bon prix, ndlr) mais aujourd’hui on a des gens qui n’ont plus de réserves depuis plusieurs années. »

Alors comment font ces professionnels là ? Eh bien certains (entre 150 et 200) sont bénéficiaires du RSA, financé par le Conseil Départemental d’Indre-et-Loire : « alors que ce sont des gens qui travaillent entre 50 et 70h par semaine » précise Joël Lorillou. « Nos agriculteurs sont des gens économes, très pudiques. Beaucoup n’osent pas solliciter le RSA. Quand je vais chez-eux et que je leur en parle, je sens une certaine honte. »

Alors comment remonter la pente ? Pour Joël Lorillou il n’y a pas 36 solutions, il n’y en a même qu’une seule qui puisse avoir un réel impact : « des prix rémunérateurs. » Le chef de projet de la Chambre d’Agriculture détaille : « pour le lait, on va finir à un prix moyen inférieur à 300€ les 1000l alors que le coût de production est souvent compris entre 350 et 400€ les 1000l. Plutôt que de faire pression – encore aujourd’hui – pour avoir des prix à la baisse et faire des promotions, il suffirait que la grande distribution accepte des augmentations de quelques centimes sur les prix au litre. Le panier des consommateurs ne verraient pas beaucoup la différence mais nos agriculteurs pourraient enfin vivre correctement de leur métier. »

Ce débat sur les prix des matières premières agricoles, on l’a depuis des mois. Il était déjà à la Une de l’actualité lors du précédent salon de l’agriculture en 2016 : « en face de la profession agricole on a 4 centrales d’achat de grandes surfaces qui conservent cette volonté de tirer les prix vers le bas. Cela dit, quand même, on commence à avoir certaines enseignes qui prennent conscience du problème et favorisent les circuits courts. C’est notamment le cas pour certains supermarchés d’Indre-et-Loire comme Super U qui veut indexer les prix d’achat sur les prix de revient, en tout cas d’en tenir compte en partie. Les choses cheminent mais il faut continuer ce lobbying afin que tout le monde prenne conscience que si on mange trois fois par jour il faut accepter de payer le juste prix, c’est-à-dire un prix qui couvre les coûts de production et rémunère correctement l’agriculteur. Ce ne sont pas des personnes qui veulent gagner 3-4 000€ par mois, mais au moins vivre décemment. »

A côté de cette négociation cruciale, il y a aussi la question des aides publiques et des différentes subventions accordées aux agriculteurs. Sur ce point, Joël Lorillou tient un discours sévère : « en 1992, le soutien moyen de la PAC (versée par l’Union Européenne, ndlr) c’était 350€ par hectare. Aujourd’hui c’est 200€. Donc ce n’est pas ce soutien qui va permettre de sortir les exploitations de l’ornière. En plus de ça, les nombreuses normes franco-françaises posent de nombreux problèmes. Et puis il faut aussi rappeler qu’il y a eu très peu d’aides de la part de l’Etat après la crise de l’an dernier. On a eu des dégrèvements fonciers, avec certes un impact important en termes de montants, mais au total ça représente 5 à 8 millions d’euros sur 200 millions de pertes pour le département. »

Désormais, les agriculteurs tourangeaux font le pari d’une météo moins capricieuse pour s’assurer de bonnes récoltes en 2017 et « arrêter de perdre de l’argent » comme le dit Joël Lorillou. Il faudra tout de même attendre août voire septembre avant d’avoir une idée des volumes et des prix de vente. D’ici là, le chef de service passera encore beaucoup de temps sur le terrain, dans les fermes, afin d’aider les agriculteurs à trouver des solutions pour assurer l’avenir de leurs troupeaux ou de leurs cultures, en espérant une collaboration durable des banques.

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