ENQUETE : Violences dans le couple, à quoi ça sert de porter plainte ?

A l’occasion de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, témoignage et analyse sur les violences conjugales dans le département d’Indre-et-Loire.

Nous proposons à Karine de la retrouver en ville, elle préfère qu’on se rencontre chez-elle, dans un petit pavillon de La Riche, à quelques centaines de mètres du jardin botanique. C’est là qu’elle vit avec son fils adolescent. Et elle ne sort pas souvent. Son histoire est longue et commence en 1986 : elle a 16 ans lorsqu’elle rencontre l’homme qui deviendra son mari et le père de ses deux enfants. Leur union a officiellement duré 29 ans, leur mariage 22 mais leur bonheur beaucoup, beaucoup moins. « Ma fille est née en 1996 et mon mari a commencé à changer pendant la grossesse » décrit Karine qui évoque « des violences verbales, psychologiques et économiques. » Alors qu’elle est salariée dans une école maternelle de la Ville de Tours, elle est arrêtée : « il ne voulait pas que je reprenne le travail pour payer moins d’impôts. »

Responsable logistique, l’homme gagne bien sa vie. Et s’arrange pour que son épouse soit dépendante de lui. « Après mon accouchement j’ai fait une dépression. En 1999, j’ai commencé à dire que je voulais le quitter. Alors il a menacé de tuer mes animaux, puis ma fille, puis moi. » Fragile, Karine est hospitalisée à deux reprises et suit une thérapie : « autour de moi, mes proches voyaient mais ne disaient rien. » C’est alors que les premiers coups apparaissent : « dès qu’on approchait de la fin de mon arrêt maladie il devenait plus violent. A cette époque, je ne pouvais que sortir pour emmener les enfants à l’école et il téléphonait pour vérifier que j’étais bien rentrée. J’ai tenté des écarts, je l’ai payé physiquement. » Pensant que la naissance d’un deuxième enfant pourrait calmer son époux, Karine accouche d’un garçon en 2002 : « c’est devenu encore pire ! Il me dévalorisait, me disait que je n’étais rien sans lui. Elle décrit les violences sur sa fille, sur les animaux, les insultes envers son fils bébé quand il pleurait… « Pour mes proches, ce n’était pas grave car j’avais une bonne situation. C’était le prix que je devais payer. »

4 ans pur obtenir le divorce

Interdite de conduite, sans accès à l’argent, Karine s’enfonce dans la solitude au point qu’elle est aujourd’hui agoraphobe, une peur de la foule qu’elle soigne lentement. « En 2010 j’ai repris le travail et il a tout fait pour que je retombe malade. » Ensuite il y a eu l’infidélité : « j’ai découvert qu’il était inscrit sur un site de rencontres et qu’une de mes collègues était sa maîtresse » et une soirée dramatique : « ma fille passait son brevet blanc. Elle a demandé l’aide de son père mais n’a pas compris du premier coup. Il s’est alors mis à la gifler, j’ai retrouvé ma fille prostrée sur le lit. J’ai appelé la police, ils lui ont demandé de partir mais il est revenu dès le lendemain. Alors j’ai demandé le divorce, et il est parti. »

Selon Karine, cette étape cruciale ne met pas pour autant fin à son calvaire. Déjà parce que la procédure de divorce a duré 4 ans jusqu’à ce mois de juillet 2015, mais aussi parce que cela fait 4 ans et demi qu’elle n’a pas vu sa fille et que les procédures à l’encontre de son ex-mari n’ont pas abouti. Se déclarant victime de viol conjugal, elle a ainsi déposé 5 plaintes en 2011. « Toutes ont été classées sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée » nous dit-elle, un manque de preuve en somme. De plus, le père de ses enfants l’accuse de l’avoir mis à la porte, elle est soupçonnée de manipulation et de tout faire pour garder sa maison. Investie dans la lutte contre les violences faites aux femmes au sein d’associations dont elle salue le soutien, Karine est cependant très critique envers les autorités : « il ne faut pas s’attendre à ce que l’on vous croie. Il faut au moins un arrêt de travail de 8 jours pour qu’un agresseur soit inquiété. C’est très difficile de prouver ce que vous avez vécu après la séparation.

“il y a trop de victimes qui se croient seules”

Déléguée départementale aux droits des femmes en Indre-et-Loire, Nadine Lorin (photo) estime que « porter plainte n’est pas toujours la solution. Ce qui est important, c’est d’en parler car quand il y a des violences dans un couple, c’est une situation dont on ne peut pas se sortir facilement seul. Il y a un enfermement progressif des victimes, une emprise de plus en plus intense ce qui fait que pour plein de raisons les femmes n’osent pas parler. »

Ainsi, les seuls moments où la représentante de l’Etat veut absolument une plainte « c’est en cas de viol conjugal. » « Le dépôt de plainte n’est pas simple, ce n’est pas un parcours de santé et on n’est pas toujours sûr d’obtenir la condamnation de l’auteur. Il faut prendre sa décision en fonction des violences subies. Malheureusement on manque souvent de preuves notamment en cas de violences psychologiques et ce même si l’on a pu démontrer que les violences à répétition entraînaient des problèmes de santé importants comme des cancers. Le coût estimé de ces violences est de 3,5 milliards d’euros. » Ce qu’elle espère donc, c’est surtout une libération de la parole « car il y a trop de victimes qui se croient seules alors que c’est un phénomène de société, cela représente 19% des homicides. » En 2014, 3 femmes sont ainsi mortes sous les coups de leur compagnon en Indre-et-Loire, environ 300 plaintes ont été déposées auprès de la police et de la gendarmerie sur un total de 1 300 plaintes de femmes victimes de violences.

A LIRE AUSSI :Notre article sur le déploiement du téléphone grand danger en Touraine

De son côté, le procureur de Tours Jean-Luc Beck précise que derrière une plainte il y a des cas multiples : “certaines femmes déposent plaintes mais arrivent au tribunal bras dessus-bras dessous avec leur mari. D’autres utilisent la plainte comme preuve dans un divorce pour faute. Alors faut-il intervenir rapidement au risque de briser un couple ? Est-ce qu’on intervient trop tard et la femme se retrouve en insécurité ?” On le comprend, ce n’est pas simple mais la justice encourage tout de même à faire la démarche : “Trop de femmes sont encore prêtes à rester en couple si leur mari se soigne, arrête le cannabis, etc… J’ai encore du mal à leur faire comprendre qu’un homme qui a frappé une fois frappera à nouveau… L’objectif n’est pas de faire condamner l’auteur des violences mais de pacifier la situation. Quand on dépose plainte, c’est que l’on attend une réponse judiciaire. Le message envoyé est ‘je n’en peux plus, il faut que cela s’arrête’.”

Olivier COLLET

Bientôt un nouveau protocole départemental

Depuis 2007, de nombreux partenaires tourangeaux sont réunis autour d’un protocole départemental de prévention et de lutte contre les violences conjugales. Dans un premier temps il rassemblait 28 structures. Celui qui s’apprête à être signé d’ici quelques jours en réunit 44. « On a un dispositif presque complet » explique Nadine Lorin, qui travaille en permanence sur ces questions : « c’est un outil important pour que tout le monde marche en réseau pour prendre en charge les victimes, accompagner les auteurs de violences ou encore les enfants témoins. Cela nous a aussi permis de mener des actions de prévention autour de la prostitution, ouvrir un accueil de jour ou encore de former 1 200 personnes dans le département.

Cette semaine, plusieurs événements sont organisés pour engager le débat autour de cette question essentielle : ce mercredi de 10h30 à 13h30, des stands d’information seront installés au CFA de Joué-lès-Tours, d’autres au CFA des Douets de 9h30 à 17h30. A 19h45, une soirée ciné-débat sera proposée autour du court-métrage de Xavier Legrand Avant que de tout perdre projeté aux cinémas Studio. Ce jeudi à 19h30, autre soirée ciné-débat au CGR des Deux-Lions autour du film Big Eyes de Tim Burton. Vendredi, une conférence gesticulée « Marche ou (c)rêve aura lieu au centre social Pluriel(le)s au 6, Avenue du Général de Gaulle à Tours avant une action en direction des familles de détenus le 2 décembre.

À lire sur Info Tours

Suivez l'actualité en temps réel

La météo présentée par

TOURS Météo

Recherche

StorieTouraine - L'actu en résumé

Inscription à la newsletter

Agenda