A voir en ce moment au cinéma à Tours : « Journal d’une femme de chambre »

« Journal d’une femme de chambre », du réalisateur Benoît Jacquot, est à l’affiche depuis quelques semaines. Le sentiment d’Info-Tours.

« Tout se remplace ». C’est ce que lance tout de go un grand bourgeois « de province » un peu loufdingue – « le Capitaine » – à Célestine, l’héroïne de Journal d’une femme de chambre, lorsqu’il évoque sa bonne, qui logeait avec lui et qu’il troussait régulièrement, récemment passée de vie à trépas. 

« Tout se remplace ». Même la femme avec laquelle vivait « le Capitaine » et qui, à ses yeux, n’était qu’un objet, qu’il concevait comme en sa possession, au même titre que son immense demeure. En ce sens, Rose, la bonne en question, n’était pas un être humain, mais une marchandise. A l’instar de la plupart des femmes que met en scène ce film poignant. Une chose que l’on possède, que l’on peut posséder au sens sexuel de l’expression, dont on n’est pas tenu de prendre soin et que l’on peut céder ou abandonner, ainsi qu’on le fait d’un objet dont on s’est lassé ou qui ne nous est plus d’aucune utilité. Bref, en quelques mots, Rose, comme toutes les domestiques du film de Benoit Jacquot, ne fut jamais autrement envisagée par « le Capitaine » que comme une figure moderne de l’esclave, ce bien dont la propriété, chez les Romains de l’antiquité, était régie par un droit dont on a pu retrouver les grandes lignes à maintes époques. A la différence prêt toutefois que sa servitude ne naissait pas formellement d’un statut imposé, mais – curieux paradoxe – d’un… contrat « librement » conclu, entre elle et son « Capitaine ».

D’un certain côté, cette scène à laquelle on assiste médusé, celle où « le Capitaine » énonce que « tout se remplace », n’est pas sans rappeler, si on l’a lue, la remarquable préface de Bernard Noël aux 120 journées de Sodome, roman inachevé du Marquis de Sade : « La machine en tête » [2]. Dans cette dernière, Bernard Noël, tentant de répondre à la question : « Qu’est-ce que le mal ? », à laquelle selon lui l’œuvre de Sade est largement dédiée, finissait par esquisser la réponse suivante :« c’est la comptabilité, qui transforme le corps en marchandise et qui limite la relation à la possession ».

Le réalisateur du Journal d’une femme de chambre connaissait-il cette belle préface, lorsqu’il a tourné son long-métrage ? A vrai dire, peu importe, puisqu’il extrait de celle-ci la « substantifique moelle », pour parler comme Rabelais. Car Journal d’une femme de chambre parvient aisément, à sa façon, artistique, à faire prendre conscience au spectateur que le mal, dans ce qu’il a peut-être de plus absolu, est le processus conduisant à rabaisser les êtres au range de marchandises, vis-à-vis desquelles toute relation n’est que possession. Comme il parvient à rendre visible la condition sine qua non pour que le mal advienne : cette résignation qui transforme en complices involontaires, celles et ceux qui, pourtant libres de se battre et de ne pas se transformer en cette marchandise au rang de laquelle on veut les rabaisser, se retrouvent réifiés : réduits à l’état de choses. Un processus magnifiquement mis à jour par une réflexion de Célestine : « Faut-il tout de même que nous ayons la servitude dans le sang… »

Tout ceci considéré, faut-il coûte que coûte se rendre à l’Axel pour voir Journal d’une femme de chambre ? Pour sa part, votre serviteur d’Info-Chalon, qui avait en tête certaines prestations de l’actrice principale – Léa Seydoux (Célestine) –, notamment celle, ridicule, dont elle avait cru bon de gratifier le spectateur dans Grand Central [3], s’attendait plutôt au pire. Il est néanmoins obligé de reconnaître que, cette fois-ci, son interprétation de la jeune Célestine est une très agréable surprise, qu’il ne peut qu’inciter à découvrir. 

Il reste toutefois à préciser que ce film, émouvant, n’est pas facile à regarder de bout en bout, tant le malaise qu’il peut susciter chez ceux qui le voient est de nature à déstabiliser jusqu’aux plus endurcis. 

Ceci étant, est-ce là une raison suffisante pour faire l’impasse sur ce long-métrage de qualité ? Pour le dire, le mieux est encore d’aller juger sur pièces si Journal d’une femme de chambre valait effectivement que l’on se déplace pour le voir.

 

S.P.A.B

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