José-Manuel Cano-Lopez : « pourquoi veut-on se débarrasser de moi ? »

Depuis le Château du Plessis de La Riche où ses jours sont comptés, le créateur de la compagnie qui porte son nom démonte point par point les arguments de la Ville de Tours qui cherche à l’expulser. Sans haine mais avec véhémence.

2h ne sont pas de trop pour bien comprendre le conflit qui oppose la Compagnie Cano-Lopez (pensionnaire du Château du Plessis de La Riche) et la Ville de Tours (qui en est propriétaire et souhaite le récupérer au 1er janvier 2016). Depuis un mois, ce dossier est arrivé sur la place publique et ses différents protagonistes se répondent par voie de presse. Un festival de petites phrases qui ne fait pas avancer le débat, chacun s’accusant mutuellement de ne pas écouter l’autre. 2h, c’est le temps que nous avons passé avec José-Manuel Cano-Lopez. Une longue audience que ne lui a jamais accordé son bailleur selon ses dires…

Créée en 1979, la Compagnie Cano Lopez est passée professionnelle en 1986. Aujourd’hui qualifiée « d’intérêt public », elle est multi activités : elle monte des spectacles, accueille d’autres compagnies pour leurs créations (voire les loge) et organise 1 000h de formation par an auprès de 900 stagiaires (dont des handicapés ou des mineurs envoyés par la Protection Judiciaire de la Jeunesse). Au Château du Plessis depuis 1998, elle s’y est installée sur proposition de la Ville de Tours après un passage par le centre d’animation des Fontaines ou encore la Menuiserie située dans le quartier Cathédrale. Le bâtiment qui date du XVème siècle et abritait jusqu’en 1992 un musée de Louis XI (qui y a vécu) et de la soie est élégant mais vêtuste (sa toiture, sa charpente, sa tourelle ou encore ses corniches sont à refaire).

« Le château est aux normes pour recevoir du public »

Si l’équipe Cano-Lopez n’a posé ses valises au Plessis qu’en 1998, le feuilleton qui connait son apogée aujourd’hui a en fait commencé en 1996, peu après l’arrivée de Jean Germain à l’Hôtel de Ville : « il fallait rénover la Menuiserie et nous avons engagé la réflexion pour trouver un nouveau lieu. Il y a eu 6 mois de travaux pour mettre le Château aux normes afin qu’il puisse recevoir du public. Des normes qui ont toujours été respectées depuis » raconte le directeur du Plessis-Théâtre en nous montrant les visas des agents de la sécurité civile : « l’électricité a été contrôlée en mars et les extincteurs ce mercredi. Leurs contrôles sont réguliers. » Il ajoute que depuis qu’il occupe les lieux, très peu de travaux ont été engagés par la ville, hormis pour installer une chaudière et l’an dernier pour refaire une partie de l’électricité. De son côté, il a investi 100 000€ pour l’équipement de la salle de spectacle ou le mobilier. « Donc quand ils disent que le site ne peut plus recevoir du public, c’est faux. Ils ont même organisé une réunion ici pour préparer une fête de la mairie. Vous croyez qu’ils seraient venus s’il y avait un vrai danger ? »

Voilà donc pour la première mise au point, l’entame d’une longue série. José-Manuel Cano-Lopez tourne les pages de son énorme dossier de paperasse et s’attaque à la question des travaux nécessaires pour rénover le corps du bâtiment. « En 1996, un devis a été fait et il chiffrait le montant du chantier à l’équivalent de 230 000€. La mairie n’a pas voulu payer mais le public n’a jamais été mis en danger. Il y a bien eu une chute de pierres en 2011, mais une grille a été posée immédiatement après. » Un pansement en somme, sauf que comme on le comprend, en 20 ans, l’état de la toiture ou des charpentes a continué à se détériorer et aujourd’hui la facture est plus salée. Mais de combien est-elle ? Ca, c’est la grande question.

« En un mois, on est passé de 700 000 à 2 millions d’euros » explique le directeur citant les différentes déclarations de Serge Babary et Christine Beuzelin. Il va même plus loin racontant que l’administratrice du Château d’Azay-le-Rideau est venue visiter les lieux et qu’elle a estimé que la facture pourrait atteindre… 8 à 10 millions d’euros ! Un chiffre qui lui parait plausible. Mais ce n’est qu’une « estimation à la volée » et aucun devis n’a été clairement établi. « Comment la mairie va-t-elle trouver cet argent ? En lançant une souscription comme pour la Basilique St Martin ? Il se dit aussi qu’elle a un projet pour le site dès janvier 2016 alors que nous partirions le 31 décembre. Quand va-t-elle faire les travaux ? Dans la nuit du réveillon ? »

Comme si son expulsion prochaine ne suffisait pas à augmenter son stress, José-Manuel Cano-Lopez craint aussi les problèmes d’argent. Sur ce point, la mairie l’a accusé lors du dernier conseil municipal de ne lui faire des reproches qu’à elle suite à la baisse de sa subvention de la Ville de Tours alors que tous les autres organismes publics ont aussi réduit leurs subventions. L’artiste a là aussi une réponse détaillée et chiffrée et nous détaille ses comptes :

« La mairie nous manque de respect »

« Sous Jean Royer, nos subventions étaient votées à l’unanimité, y compris par Serge Babary alors adjoint au maire malgré un contexte économique très difficile pour la ville. Ensuite, sous Jean Germain, nous avons toujours eu entre 130 000€ et 145 000€ par an. En 2014, elle a été réduite à 110 000€ et 70 000€ cette année. Quand Mr Babary dit que la moyenne de la baisse des subventions est de 3% pour 2015, c’est faux. Nous c’est 30%. Si cela avait été une baisse généralisée de 30% comme au conseil départemental, je l’aurai compris et accepté. De plus, contrairement à ce que dit le maire, la subvention de la Ville ne représente pas 50% de notre budget mais 28%. En effet, nous ne vivons pas seulement des subventions, nous avons aussi des recettes qui représentent 40% de notre budget (comme la billeterie). Ce dernier est de 246 000€ dont 148 000€ de subventions de la mairie, du département, de la région et de l’Etat via la DRAC. »

Ensuite José-Manuel Cano-Lopez explique pourquoi il n’a pas protesté aussi vivement lorsque les autres organismes ont baissé ses subventions sur la période 2008-2012 : « la DRAC a changé de politique suite à une loi empêchant de subventionner les compagnies ayant un lieu à leur disposition. Nous ne sommes que 4 dans ce cas en France alors nous ne pouvions pas faire le poids. Pour le Conseil Régional, il a décidé que seul un lieu pouvait être subventionné par commune. Même si Le Plessis appartient à Tours, il est situé à La Riche. Et à La Riche c’est – logiquement – la Pleïade qui est soutenue. Quant au département, il a baissé toutes ses subventions à cause de sa dette. Mais ses 3 organismes continuent de nous verser de l’argent. Enfin si l’on inclut les charges liées à l’utilisation du Plessis (eau, électricité), la subvention de la Ville de Tours n’est plus de 70 000€ mais de 45 000€. »

Ce qui agace profondément José-Manuel Cano-Lopez, c’est qu’il a l’impression que les élus tourangeaux lui manquent de respect même s’ils ont régulièrement salué la qualité de son travail théâtral (lors des commémorations du centenaire de la guerre 14-18 par exemple fin 2014) : « le premier rendez-vous avec Mme Beuzelin – adjointe à la culture – a duré 20 minutes. Elle m’a simplement demandé de me présenter et d’évoquer la fréquentation de nos spectacles. Elle n’était jamais venue au Plessis-Théâtre. Quand le maire est venu mi-mai, il a seuement annoncé des décisions qu’ils avaient prises. Il n’y a jamais eu de discussion. »

« Cette décision est uniquement politique »

Bref, pour le directeur du Plessis-Théâtre, la décision municipale n’a rien ce fondé, elle n’est que politique : « en janvier, je suis allé voir Jean Germain pour lui en parler. Il a regardé le dossier et il me l’a dit ‘il n’y a rien d’artistique, ce n’est qu’une question de politique’. Le danger c’est nous. Mais je ne comprends pas pourquoi on veut se débarrasser de moi. Je n’ai jamais été encarté dans un parti, j’ai des amis à droite et à gauche. Un temps on m’a dit que je faisais partie du comité de soutien de Jean Germain mais c’est faux, je n’ai jamais été dans ses très proches. »

« Je suis un humaniste, rigoureux, et qui connait ces dossiers. Pour ça, on me dit que c’est difficile de travailler avec moi. Mais là encore, la mairie n’assume pas. Elle aurait dit que mon travail ne correspondait pas à sa politique j’aurais fait des déclarations pour protester mais je n’aurais pas été aussi loin. Peu de personnes m’ont conseillé d’engager cette résistance. Mais on se doit d’être précis, le dossier est loin d’être clos. D’ailleurs, quand Serge Babary dit en conseil municipal qu’il attend de moi un projet je ne vois pas de quoi il parle. Rien ne m’a jamais été demandé. Un projet sur quoi ? Un nouveau lieu ? Comment je vais faire mes activités dans la rue ? Je ne veux pas réfléchir à une solution alternative tant qu’il n’y a pas l’ouverture de discussions avec les élus. Je suis même prêt à partir 3 jours en vacances avec le maire pour plancher à fond sur le dossier ! »

Fatigué, usé par ce combat, José-Manuel Cano-Lopez n’est donc pas prêt à abdiquer; Il se battra jusqu’au bout. Pas pour lui, mais pour les artistes et les jeunes qu’il accueille. Ou encore pour ses salariés, qui ne sont pluis que deux alors qu’ils étaient 7. Depuis le 10 mai, la pétition qu’il a lancée a réuni 3 000 signatures, 200 noms influents le soutiennent. « Je n’ai pas de haine » nous dit le directeur qui préfère la discussion autour d’une table à un combat de coqs. La Ville voudra sans doute répondre à tout ce qu’il nous a dit. Reste à savoir si elle le fera en face à face ou de manière détournée.

Olivier COLLET

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