TOURS NORD : Le tempo du Beffroi

Enquête dans un quartier qui n’a pas bonne presse depuis quelques mois. A tort ou à raison ?

Traversé par le tram et l’Avenue de l’Europe, immanquable grâce à son élégant beffroi blanc et la dynamique médiathèque François Mitterrand, le quartier du Beffroi de Tours Nord semble avoir tout pour plaire et poursuit d’ailleurs son extension. Les immeubles sont de taille raisonnable et souvent ornés de toits pentus, les commerces y sont variés (« il manque juste un fleuriste » nous a-t-on glissé) et, tous les jeudis, il y a marché. Mais voilà, depuis quelques semaines, il se dit que le secteur n’est pas vraiment fréquentable, que la violence guette et que la drogue se marchande au grand jour. Alors nous avons voulu prendre le temps de discuter avec les habitants et les habitués des lieux pour tenter de comprendre ce qui ne va pas, ou nuancer quelques idées reçues.

Premier jour, le kebab est un peu trop cuit à notre goût mais on repart l’estomac bien plein. Ce midi-là, l’établissement de la Rue de Jemmapes est à moitié plein : on y croise des ouvriers, un couple, une famille et des jeunes visiblement habitués qui discutent Ligue des Champions de foot et paris sportifs avec l’un des employés. C’est la pause du midi, il fait beau. L’ambiance est détendue. Plus tard, la pluie menace mais c’est samedi, alors les gens sortent pour aller emprunter quelques livres, faire des courses ou simplement se promener. La semaine suivante on se croirait en automne mais le sourire de la coiffeuse ramène un peu de Soleil dans notre après-midi. Et surtout, à chaque visite, nombreux sont ceux qui acceptent de parler.

« Ici ce n’est pas un ghetto »

« Jamais je ne dirais qu’il n’y a pas de problèmes ici, mais je ne peux pas non plus dire que j’ai grandi en cité » nous explique un jeune trentenaire, très attaché à son quartier comme la plupart des gens rencontrés. Leurs mots pour décrire « le Beff’ » : « c’est un endroit calme et tranquille avec plein de jeux et d’activités pour les enfants, une belle ambiance. C’est beau, il y a de la lumière, de l’air. Tout ça proche de la ville, c’est pratique quand on est une famille. Il y a une atmosphère particulière. Quand je ne suis pas là, je ressens un manque. »

Et la délinquance ? « Parler de plaque tournante de la drogue c’est du bourrage de crâne ! Oui il y a des trafics mais ici ce n’est pas un ghetto » souffle un couple qui habite là depuis trois décennies : « une fois, en descendant du tram, des dealers sont venus vers nous en pensant que nous étions des consommateurs mais ils n’ont pas été agressifs. En revanche ça peut être dérangeant pour une jeune femme seule en soirée… » poursuivent-ils ce que confirme une ancienne habitante qui vient régulièrement rendre visite à ses parents : « quand je rentrais la nuit, ils préféraient venir me chercher à l’arrêt de tram pour que je ne sois pas seule… »

« A partir de 14 ans il n’y a plus d’activités pour les ados »

« Je comprends que certaines personnes se méfient des rassemblements de jeunes, mais ce ne sont pas forcément des garçons méchants. » nous explique l’un d’eux, en faisant le tour des immeubles qu’il connait par cœur. « Ici, il y a une culture de transmission pour empêcher les autres de dévier. J’aurais pu tomber dans la drogue mais grâce aux grands frères j’ai vite compris que ça ne servait à rien. » Selon lui, « certains voudraient faire de ce quartier ce qu’il n’est pas », surtout chez les plus jeunes d’ailleurs, des ados de 16-17 ans « qui ne viennent pas toujours d’ici. » Il ajoute : « A partir de 14 ans, il n’y a plus d’activités proposées aux adolescents alors je comprends qu’ils s’ennuient et parfois commettent des incivilités. Le problème c’est que certains jeunes n’ont pas les bases de l’éducation. Quant à ceux qui font du trafic, croyez-moi, ils n’en font pas une fierté. »

Selon le commissaire chef de la sûreté départementale d’Indre-et-Loire, « au Beffroi, il n’y a pas plus de problèmes qu’ailleurs », même si début décembre des incidents ont éclaté entre quelques jeunes et les forces de l’ordre entraînant plusieurs interpellations et quelques feux de voitures, ce qui n’avait pas eu lieu depuis longtemps. Des dégradations ont également été constatées sur le bâtiment de la médiathèque il y a quelques jours. « Le terrain a été déserté par les acteurs sociaux et la police, nationale comme municipale », poursuit l’un des habitants avec qui nous avons échangé, « depuis 10 ans ils n’ont plus de moyens et tout a changé. Avant, ils discutaient. Par exemple s’il y avait des problèmes de bruit, ils venaient en parler calmement. Cet été, on les a vus débarquer avec des chiens… Mais ce n’est pas par la répression que l’on va faire avancer les choses… » Le couple que nous avons croisé confirme : « on manque de monde pour discuter avec les jeunes, de gens formés, de lieux pour parler. »

« Je voudrais devenir animateur, travailler dans le cirque »

Sur le parking près du laboratoire d’analyses médicales du quartier, nous abordons un petit groupe, simplement pour engager la conversation. Ils préfèrent ne pas s’exprimer, ne semblent pas comprendre notre démarche quand on leur explique que l’on veut simplement faire le portrait robot du quartier, et craignent également que l’on déforme leurs propos. Nous avons retenté notre chance quelques jours plus tard, et leur opinion n’avait pas varié.

Dans le square, un jeune homme de 28 ans qui écoute de la musique avec une enceinte portable accepte d’échanger quelques mots. Il nous explique que son père est malade et que pour vivre il vole et deale, bien qu’il affirme être sorti de prison récemment. Un de ses amis de 21 ans est un peu plus loquace. Quand on lui demande ce dont il rêve, il sort spontanément : « un champ de weed (de cannabis, ndlr). » Mais vendre de la drogue ? « Pas question ». Le quartier ? Il s’y sent bien, parce qu’il y a ses potes, ses habitudes et qu’il doit s’occuper de sa mère malade. Mais il espère partir un jour, à Tours Centre ou St-Pierre-des-Corps : « parfois ici c’est épuisant. Certains jeunes ne sont pas très recommandables, y’a trop de mentalités à la con. »  Tout en manipulant son bilboquet, il nous détaille ses projets : « je suis handicapé mais j’espère trouver du travail. Je voudrais devenir animateur, travailler dans le cirque, la culture. Mais pour ça, il faut d’abord que je passe le permis… »

« Notre vie, c’est un stand-up permanant »

Des exemples de réussite, le Beffroi en fourmille comme Samir, aujourd’hui N°2 de la société Terres Exotiques (spécialisée dans l’import-export d’épices) dont les parents habitent toujours près de l’Avenue de l’Europe ou Faouzi, un boxeur de 21 ans dont 14 sur les rings, champion de France des moins de 71kg et qui sera à l’affiche de la prochaine Nuit des Titans le 12 mars au Palais des Sports de Tours : « il n’y aurait pas eu mes parents et le sport, j’aurais pu basculer dans la délinquance. Mais je crois en mes rêves, j’ai besoin de boxer, d’être poussé vers le haut. »

« Ce que j’ai envie de dire aux jeunes, c’est que si nous on a réussi, pourquoi vous vous deviez ? » poursuit un de nos interlocuteurs, un juriste, par ailleurs opposé à la discrimination positive : « c’est une insulte, ce n’est pas parce que c’est plus facile que c’est meilleur. Dans les années 85-90, pour ma génération, la seule question c’était ‘qui sera le meilleur à l’école ?’. » Et manifestement c’est un esprit qui s’est perdu : « j’ai envie de changer mes enfants d’école car ici, même si les profs sont très bien, certains élèves tirent les autres vers le bas » regrette une mère de famille.

En somme si certains peuvent avoir une mauvaise image du Beffroi, c’est peut-être parce que, décontenancés, une partie de ses habitants se retrouve sans repères ou guides, dans la famille ou les institutions. Outre l’absence d’aides sociales et de police de proximité pointées plus haut, plusieurs résidents que nous avons interrogés ont déploré le manque de structures sportives, d’animations culturelles ou d’ateliers pour les jeunes. Un défaut qui pousse certains vers de mauvais chemins mais d’autres vers la création. Nous conclurons ainsi par cette jolie phrase prononcée par un de nos contacts : « ici, notre vie, c’est un stand-up permanent. » Avec ses grands éclats de rire et, parfois, de gros bides.

Olivier COLLET

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