Une soirée dans l’appartement de Chrétiens Migrants

L’association qui vient en aide aux immigrés sans abris nous a ouvert ses portes pendant 2h, pour comprendre. Récit.

Il est 18h15 et nous arrivons dans le petit appartement de l’association Chrétiens Migrants, à Tours. Situé au rez-de-chaussée d’un immeuble du Sanitas, allée de Luynes, sa porte est ouverte toute la journée. Il y fait bon chaud, la lumière est allumée et il y a de beaux grafs aux murs. Le tout contraste avec la nuit et le froid qui sévissent à l’extérieur et qui inquiètent ces dizaines de migrants, presque tous en situation irrégulière, et qui peinent à trouver un abri pour dormir. Du coup, depuis plusieurs semaines déjà, certains campent sous l’escalier, dans l’entrée du bâtiment. Notamment parce que le 115 (le numéro d’urgence pour les SDF) n’a rien pour eux. Ce qui a poussé la structure à réclamer à plusieurs reprises des moyens supplémentaires à l’Etat.

Chaque soir, tous espèrent avoir de la chance. Un rom revient ainsi sans cesse dans le bureau de l’association pour demander à ce que l’on appelle le fameux numéro : « 18h, c’est l’heure… » explique Rose-Marie. C’est elle qui gère la permanence, elle est là toute la journée, toute la semaine, alors qu’elle a largement dépassé l’âge de la retraite. « Je prends juste un petit quart d’heure de pause pour manger » explique-t-elle, dans le speed, entre deux coups de fil ou allers-retours. Généreuse mais excédée, elle finit parfois par être sèche, pas par méchanceté mais plutôt parce que la fatigue s’accumule, que les jours se suivent et se ressemblent, et qu’ils sont toujours nombreux à dormir comme ils peuvent.

L’homme rom revient encore. Il insiste et Rose-Marie sera presque obligée de le virer pour qu’il comprenne enfin que, non, ce soir comme depuis plusieurs semaines, lui et sa famille devront rester sous l’escalier. Ils ont parfois été plus de 10 à dormir là nous explique la bénévole, ce que confirment plusieurs migrants avec qui nous avons discuté. Pourtant, il y a aussi des chanceux. Une femme africaine et ses enfants s’agitent tout à coup : il y a une place pour eux, pour le troisième soir de suite. Alors, hop, sans demander son reste elle récupère tout ses bagages dans le petit salon de Chrétiens Migrants et part, pratiquement sans dire au revoir. Un peu plus tard, Rose-Marie trouvera une place à l’hôtel pour un couple arménien et son bébé. 36€ la nuit, à la charge de l’association. Pourquoi eux et pas d’autres ? « Parce qu’ils ont un bébé » explique-t-elle.

Dans la cuisine qui jouxte le bureau de Chrétiens Migrants, on prépare le repas. Des pâtes, du couscous, un peu de sauce. Certains ont mangé tôt, d’autres profitent de ce moment. Le calme règne, les migrants ne se parlent pas beaucoup entre eux. Un jeune homme de 16 ans venu de Guinée nous raconte son ennui, profond. Il est arrivé à Tours plus ou moins par hasard, voudrait rester mais sans papiers, sans travail, sans argent, sans proches, c’est un combat de chaque instant. A côté de lui, une femme partie du Congo à cause de douloureuses violences dans sa famille est dans le même cas. Elle a pris toutes ses économies et a sauté dans l’avion laissant ses enfants derrière elle. Elle raconte son histoire sans trop de convictions : « vous les journalistes, vous posez des questions mais vous apportez quoi comme solutions ? ».

Autour de la table, une famille tchétchène accepte elle aussi de témoigner, par la voix d’une des filles, âgée de 13 ans rêvant d’être infirmière et scolarisée ici à Tours comme tous les enfants de la famille. Eux ont fui la guerre, le père est malade, l’une des filles est sourde mais ils restent dans l’irrégularité et sans avoir de vision pour l’avenir. Parmi leurs problèmes : l’appareil auditif qu’il faut recharger sur une prise chaque nuit. Fort heureusement, ils sont accueillis dans un appartement de particulier. Ca fait plusieurs nuits que c’est comme ça. Ils dorment presque à même le sol mais au chaud. « Je n’ose pas en parler à mes copines de classe » explique pudiquement l’adolescente. Désir de s’intégrer, mais quelle mission difficile…

Les minutes passent, Rose-Marie enchaîne les coups de fil. « Plus de place pour les femmes au 115… Il y en a bien moins que pour les hommes ». Une femme enceinte africaine l’agace : logée à l’hôtel jusqu’à ce mardi, elle s’inquiète déjà pour la suite. La bénévole lui fait comprendre que tout se règle au jour le jour ici : « vous reviendrez mardi et là on trouvera une solution. Vous en connaissez beaucoup vous des associations qui vous reçoivent le soir à 19h30 ? ». La femme repartira dans son hôtel, la bénévole est déjà sur autre chose : rédiger une demande à la Croix-Rouge pour qu’une jeune femme qui doit supplier sa soeur tous les jours pour dormir chez-elle puisse bénéficier d’un colis de nourriture.

Des situations complexes, toutes différentes, des drames humains, des migrants qui croient parfois que cette aide leur est dûe : voilà ce qu’est le quotidien chez Chrétiens Migrants. Peu avant que l’on parte, la salle à manger se transforme en chambre pour une femme avec ses béquilles qui ne peut bien sûr pas dormir sous l’escalier. Mais c’est encore une solution de fortune. Comme celle proposée à ces jeunes qui repartent avec le trousseau de clefs d’un jeune homme qui leur fait confiance les laissant intégrer son logement même si il n’y est pas. Depuis ce 1er décembre, le dispositif d’urgence hivernal renforcé est entré en vigueur. Peut-être que ça donnera un peu d’air à Chrétiens Migrants mais franchement l’association n’y croit pas trop : « il y a de nouvelles personnes qui arrivent chaque semaine » soupire Rose-Marie avant de se replonger dans la paperasse. Il est 20h15.

Olivier COLLET

Chrétiens Migrants – Tours – 02 47 61 69 56

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