UBS : Rencontre avec une résistante des temps modernes

Nous avons rencontré Stéphanie Gibaud, une lanceuse d’alerte. Interview à la veille de son passage devant la justice.

Si elle était un personnage de fiction, dans la parabole zen des trois petits singes qui symbolisent la sérénité (ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre) Stéphanie Gibaud pourrait être le quatrième. Celui qui parle et est conscient de tout. La lucidité, parfois le courage et l’honnêteté, bref l’esprit critique et républicain se paient cher dans un monde qui ne l’est pas et chahute chaque jour ses valeurs positives. Cette ancienne chargée de communication d’UBS France, qui s’est alarmée de pratiques douteuses de sa banque et a dénoncé d’abord en interne ces anomalies dès 2008 (avant de porter plainte) a subi depuis bien des pressions. Prix de l’association Anticor au début de l’année pour son combat, Stéphanie Gibaud vit une semaine intense. Elle a répondu aux questions de notre confrère info-chalon.com.

Ce mardi 3 mars, elle participait à Paris à une soirée réunissant des « lanceurs d’alerte » qui comme elles ont dénoncé anomalies et fraudes dans les sociétés qui les employaient et ont connu la foudre des représailles. Jeudi 5 mars, le tribunal des prud’hommes parisien rendra la 1ère décision concernant son litige avec la banque UBS, qui après avoir défrayé la chronique et le Sénat aux Etats-Unis fait l’objet d’une enquête pour fraude et évasion  fiscale en France.

 

Vous avez quitté la banque UBS à l’issue de quatre dernières années éprouvantes en février 2012, publié un livre en 2014, reçu le prix de l’association Anticor cette année, vous attendez le jugement prudhommal ce jeudi. Dans quel état d’esprit êtes-vous en ce début de semaine ?

Je ne sais pas très bien. Quand j’ai dénoncé des pratiques que j’estimais problématiques à ma direction française, car j’ai toujours travaillé à Paris, j’estimais que je faisais mon travail et que je serais même félicitée pour ça. Je ne pensais pas que tout cela s’inscrivait dans une démarche assumée,  une stratégie. UBS a été sanctionnée pour  ses pratiques incitant à la fraude et à l’évasion fiscale aux Etats-Unis, une enquête judiciaire est en cours en France sur ses pratiques de démarchage illicite des fortunes françaises auxquelles, moi comme chargée de communication, j’ai participé sans savoir. Au moment du procès aux Etats-Unis, on m’a demandé de détruire des fichiers clients et j’ai refusé. Ça a été le début de mes ennuis et d’une dégradation sociale. Contrairement à Hervé Falciani (le lanceur d’alerte de la banque HSBC à l’origine du scandale SwissLeaks) qui lui savait ce qu’il faisait et avait planifié son action, moi j’ai dénoncé une anomalie. Je n’avais rien préparé. Depuis, progressivement, sr le plan personnel, j’ai l’impression de ne plus être dans la vie.

Comment arrivez-vous à dire cela ?

C’est très schizophrène, en fait.  Je n’ai pas choisi de me mettre en lumière. Ça fait trois ans que je suis sortie de la banque, en février 2012, trois ans qu’on me dit « vous faites peur ». Je me bats depuis 2008. Je suis épuisée, c’est un véritable cauchemar. Je suis un symbole. Les autres lanceurs d’alerte sont arrivés à se recaser, ils ont eu des affaires moins médiatiques et moins violentes.

Je cumule tout depuis le début et cela a entraîné une affaire d’Etat. Je suis quelqu’un d’honnête, j’ai suivi la procédure interne. Comme la procédure interne a été bloquée, j’ai porté plainte. J’ai fait tout dans le droit français. On arrive sept ans après, où UBS a certainement provisionné sur une ligne d’un bilan comptable ce que je pourrais éventuellement lui coûter aux prud’hommes. UBS conteste tout ce que je dis publiquement, dit que j’ai tout inventé. Et puis un jour, peut être feront-il comme HSBC en disant : on s’excuse. Pendant ce temps-là, c’est aussi dix ans de votre vie, de celle de vos enfants, de vos parents. 10% des transactions bancaires qui disparaissent c’est une constante dans toutes les affaires, de Denis Robert à Falciani. Les affaires louches, on retrouve toujours le même schéma. Et nous, c’est juste nos vies. Traverser cela, le dénoncer nous coûte cher.

Ca vous fragilise pendant des années… Vous êtes dans un moment de tension énorme en attendant la décision judiciaire de jeudi.

Complètement. C’est un enjeu énorme. Sans moi, il n‘y aurait pas cette histoire en France. Moi qui n’était personne, pas à un poste stratégique, pas au comité de direction. Je suis quelqu’un de normal qui réalise à un moment donné qui m’ont mise hors-liste, qui ne veut pas détruire les archives qu’on me demande de détruire pare que je trouve ça un peu surprenant et puis en tirant un fil, on trouve des choses.  J’étais basée à Paris et je travaillais avec les Suisses tout le temps. C’est pourquoi quand j’ai appris en 2008, via l’affaire UBS américaine que tout était illégal, j’ai commencé à poser des questions. C’est un mille-feuilles. Il y a cette affaire américaine qu’on entend de très loin et qui est complètement étouffée dans la banque. On me colle une supérieure alors que depuis huit ans je dépends du président. Je suis quelqu’un de bien élevé, au début, j’écoute, je fais confiance. Je n’ai rien vu arriver jusqu’au jour de la perquisition chez le directeur général. Après la visite, on m’a demandé de détruire mes archives, papier et informatique. Ça se passait très mal avec ma supérieure hiérarchique. Quand je suis sortie de la banque en 2012, j’avais l’impression d’être morte. Je me suis faite expertiser par des neuropsychiatres qui m’ont demandé comment j’étais encore en vie parce qu’avec ce que j’avais subi, tout était fait pour m’éliminer. L’arme la plus tordue qu’ils ont utilisée contre moi, c’est moi-même. J’élevais mes enfants toute seule, je suis honnête, j’ai été entraînée dans un tourbillon depuis sept ans. Au quotidien, moi, je ne sais pas quand je vais aller mieux et quand je vais en sortir. J’ai des crises de larmes régulièrement, je m’interroge sur mon avenir. Parfois, je me dis que je rêve et que je vais me réveiller. Et je suis devenue un symbole alors que j’aspire à une vie normale : un boulot, un job que j’aime et la vie qui va.

Vous ne voyez rien d’exceptionnel au fait de dénoncer des choses malhonnêtes. Vous avez déclenché une tempête.

Oui. J’ai brisé la loi du silence et comme dans tous les milieux « mafieux »… C’est très violent ce que je vous dis, mais c’est ça. On vous tue par que vous avez parlé.

Vous avez subi en interne une terrible pression.

L’inspectrice du travail venue enquêter n’a même plus qualifié ça de « harcèlement » mais « d’acharnement ». Cet esprit de « prendre un chèque et je me casse », qui était une solution ce n’était pas le mien. Vous voyez quelqu’un se faire tuer, vous ne dîtes rien parce que vous ne voulez pas d’ennuis ? Ben non. Et après, j’ai porté plainte, je suis partie mais en même temps, au quotidien, qui paie les factures à la maison ? Plus de retraite, de mutuelle, plus de salaires, plus de revenus. Ces temps-ci, je suis au RSA. J’ai emprunté de l’argent à des amis pour assurer le quotidien. Je rencontre beaucoup de journalistes pour raconter mon histoire, demain je suis à la brigade financière, j’ai eu des rendez-vous à Bercy pour fournir des preuves. Bercy communique en disant « on a des milliards qui rentrent avec les fraudeurs » et vous, vous êtes au RSA. J’aide les fonctionnaires d’Etat à faire leur travail sans en avoir la reconnaissance et de l’autre côté, quand vous envoyez un CV, du fait de votre passé, vous faîtes peur au privé. Moi, je ne suis plus dans la vie.

C’est terrible ce que vous dîtes : « je ne suis plus dans la vie ».

Etre dans la vie, ça veut dire être capable de donner de l’argent de poche à ses enfants, de leur offrir des cadeaux pour Noël, ce que je ne peux plus faire, de leur acheter des fringues, de payer des factures. Je vis un truc pas possible, ça fait sept ans que je répète la même chose. L’enjeu des prud’hommes est hyper important. Et puis c’est aussi matériel. On est bien gentil de dire, « il ne faut pas dédommager les lanceurs d’alerte parce qu’ils ne font pas ça pour l’argent » mais en attendant, comment je vis tous les jours, je fais quoi ? Une journaliste dit que les lanceurs d’alerte font peur parce qu’ils démontrent aux autres leur manque de courage. Vous rendez service à tout le monde et tout le monde vous tourne le dos. En aparté, on loue vote solidité et votre courage et à vivre, c’est juste épuisant. Personne ne sait ce qu’on vit. Etre honnête, c’est un problème ? On passe pour des délateurs alors qu’on met le doigt sur des affaires d’Etat qui ont écorné vos économies, qui ont pris en otage l’argent de tas de personnes et ça se passe comme ça sur tous les continents. Et on subit une punition…

Propos recueillis par Florence Genestier

À lire sur Info Tours

Suivez l'actualité en temps réel

La météo présentée par

TOURS Météo

Recherche

StorieTouraine - L'actu en résumé

Inscription à la newsletter

Agenda