Tabacologue au CHU de Tours, Anne Dansou s’inquiète de l’addiction toujours plus grande des plus précaires à la cigarette. Interview.
Votre métier consiste en quoi ?
C’est d’abord comprendre le fumeur. Ca ne veut pas dire que l’on comprend de façon démagogique sa vision mais plutôt que l’on arrive à comprendre ce qu’il ressent, sa difficulté à sortir du tabac. On arrive à accepter qu’il est ambivalent et petit à petit on va arriver à lui donner confiance en lui. Pour arrêter de fumer, il faut se rendre compte que le changement est important puis se sentir prêt à sauter.
Quel est l’argument qui fonctionne le mieux pour convaincre un fumeur d’arrêter ?
Nous n’avons pas d’argument de prédilection mais nous posons la question au fumeur : qu’est ce que vous gagneriez en arrêtant ? C’est quand il se rend compte qu’il est accroché, dépendant, que nous avons les meilleurs chances de le convaincre d’arrêter. Se rendre compte qu’on est l’esclave du tabac et plus important que d’être malade à cause du tabac. Les gens qui viennent nous voir sont ceux qui en ont assez d’être dépendant. Parce que leur enfant leur demande, se rendent compte qu’ils doivent prendre l’ascenseur pour monter deux étages… Certaines choses finissent par ne plus convenir.
Est-ce que l’augmentation des prix dissuade les fumeurs ?
Seule une augmentation de 20% comme en 2003 pourrait dissuader les fumeurs. Les petites augmentations ne dissuadent pas. Ainsi, les précaires continuent de rester dans le tabac même s’ils n’ont pas beaucoup de sous. Ca fait partie de leurs priorités. Pour eux ça correspond à un anxiolytique. C’est un petit loisir, un petit truc sympa.
On peut arrêter de fumer seul ?
Seuls 5% des fumeurs y arrivent. Voilà pourquoi c’est important de se faire aider. Nous avons une approche bienveillante. On est pas là pour leur remonter les bretelles mais les aider à comprendre ce qu’il se passe sous le tabac. On les aide, via nos questions, à trouver les solutions eux-mêmes.
Est-ce que c’est grave de rechuter ? De reprendre après un arrêt ?
Non. Au contraire c’est une marche vers le succès. Il ne faut pas voir ça comme quelque chose de négatif mais comme une expérience. Il comprend ce qu’il s’est passé et peut analyser les conditions de la reprise. On sait que c’est souvent le quatrième arrêt qui permet de se décrocher définitivement du tabac. Mais il faut savoir que l’on reste toujours un ancien fumeur. Dans notre cerveau, on garde des récepteurs à la nicotine qui peuvent se réveiller si on vient les solliciter à nouveau avec du tabac. Donc même fumer une cigarette de manière exceptionnelle c’est prendre un risque important.
Que pensez-vous de la cigarette électronique ?
Elle est 10 000 fois moins dangereuse que le tabac. Tout n’est pas réglé, en particulier l’addiction. En même temps c’est un grand pas vers le changement. On ne la conseille pas, car ce n’est pas un médicament. Mais nous encourageons les fumeurs ui l’ont commencé à la continuer.
Propos recueillis par Olivier COLLET
A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le tabac, le CHU de Tours se mobilise ce lundi 1er juin. Ses équipes (tabacologues, sage-femmes spécialistes, sophrologues…) seront présentes de 11h à 17h dans les halls de Trousseau (en bas de la tour) et Bretonneau (bâtiment B1A).
En 2014, le nombre de patients et de consultations a augmenté, au total, ce sont 1383 patients qui ont été suivis lors de 2772 consultations