« La prison ça n’a rien à voir avec les séries américaines »

Rencontre avec Dominique Lizé, directrice de la maison d’arrêt de Tours.

Échanger avec la directrice d’une maison d’arrêt est intéressant et frustrant en même temps. Poste important, il est soumis à une réserve. Pas question pour Dominique Lizé de dire tout ce qu’elle pense vraiment de l’état de son établissement, de la surpopulation carcérale ou du manque de personnel. Proche de la retraite, on imagine pourtant qu’elle a forcément un avis d’experte sur la question. En poste à Tours, elle a fait le tour de France des lieux de détention : Laval, Compiègne, Mulhouse… Et donc la Touraine depuis six ans. « Dans l’administration pénitentiaire, il y a facilement la possibilité de faire carrière, de gravir les échelons » nous explique-t-elle. C’est ce qu’elle a fait.

218 détenus, 145 places, maximum 3 par cellule

Arrivée « par hasard » dans ce milieu, Dominique Lizé n’a que le brevet en poche. Au départ agent administratif, elle est donc aujourd’hui à la tête d’une équipe de 70 personnes qui se relaient 24h/24 aux côtés des détenus au nombre de 218 le jour de notre venue, alors que l’établissement compte 145 places. Cela dit, tous les quartiers de la maison d’arrêt de Tours ne sont pas en surpopulation. Ainsi, il y a 10 lits pour les mineurs et en ce moment ils sont 6. « Sur une année, 700 personnes entrent de l’établissement et environ autant en sortent » explique la directrice. Quand ils arrivent, les détenus sont d’abord placés dans un quartier qui leur est réservé pendant 4 à 8 jours, le temps notamment de rencontrer un médecin, un professeur ou un membre de la direction. 

Dominique Lizé est donc régulièrement en contact direct avec les détenus. A leur arrivée ou pendant leur détention. Ils peuvent la solliciter à tout moment par écrit, que ce soit pour changer d’établissement ou parce qu’ils s’inquiètent pour leur chien resté à leur domicile en leur absence. « Nous faisons par ailleurs intervenir deux écrivains publics pour ceux qui seraient illettrés » ajoute la directrice. Et selon ses dires ce n’est pas trop, loin de là.

Une grande partie des hommes vivant derrière les barreaux tourangeaux provient de milieux sociaux défavorisés. « Il faut que leur détention se transforme en temps utile » insiste à plusieurs reprises Dominique Lizé. L’école est obligatoire jusqu’à 16 ans mais ensuite, les jeunes sont vivement incités à poursuivre leur scolarité pour éviter le décrochage : « ils sont nombreux à être fâchés avec l’école, ne pas avoir de diplôme ou être très éloignés du travail ». Du coup les majeurs sont encouragés à se former à des métiers qui recrutent : électricité, logistique ou agent de centre d’appel.

Un appel aux entreprises pour faire travailler les détenus

La maison d’arrêt de Tours est par ailleurs en demande de contrats à passer avec des entreprises de la région pour faire travailler les détenus : « nous avons une liste d’attente d’hommes volontaires » nous dit la directrice qui en profite donc pour lancer un appel : « les détenus peuvent faire plusieurs tâches manuelles comme emballer des articles de quincaillerie, fabriquer des instruments de musique ou des systèmes de fermetures pour placards : « nous travaillons en permanence pour certaines sociétés, pour d’autres c’est plus ponctuel, un peu comme de l’intérim. Nous sommes très réactifs aux demandes. En général, entre 10 et 30 détenus travaillent. » Certains sont également directement employés par l’établissement pour la cuisine ou le ménage, environ une vingtaine.

Au final, entre le travail, les cours, le culte (6 religions représentées, dont les témoins de Jéovah), les promenades ou les activités (foot, relaxation, bibliothèque, théâtre…), les détenus peuvent passer jusqu’à 9h par jour en dehors de leur cellule, sachant qu’ils ne sont jamais forcés à la quitter. Il est obligatoire de leur proposer une promenade (même en quartier disciplinaire) mais ils peuvent aussi la refuser. « Le climat n’est pas tendu ici, ce n’est pas une poudrière » tient à préciser Dominique Lizé même si elle reconnait qu’il peut toujours y avoir des débordements, d’autant que l’établissement manque de surveillants obligeant les personnels à faire plus d’heures. En revanche, elle ne dira pas combien de postes supplémentaires lui seraient nécessaires. Nous abordons aussi le risque de la radicalisation des individus : « il n’est pas plus élevé qu’à l’extérieur » affirme-t-elle. « Nous restons vigilants, tout changement de comportement est guetté et analysé. »

« On ne peut pas mettre un couvercle sur la prison »

Nous parlions des surveillants, développons. La directrice tient déjà à souligner un point de vocabulaire : « ce ne sont pas des gardiens. » Attention au lapsus ! Ensuite, bien qu’ils représentent l’autorité, elle met l’accent sur leur rôle essentiel pour maintenir le lien humain avec les détenus. Pour cela elle prend un exemple : « dans cette maison d’arrêt de 1935, les douches ne sont pas en cellule mais au bout du couloir dans des salles de bain communes. Eh bien les détenus qui ont connu les deux types d’établissements – moderne et ancien – préfèrent les plus vieux parce que ça leur permet notamment d’avoir plus de liens avec les gardiens. En revanche, l’inconvénient à Tours, c’est qu’il est encore assez facile de faire entrer en détention des objets extérieurs comme des téléphones portables : « pour l’éviter, il faudrait rehausser les murs de 6m. On ne peut pas non plus mettre un couvercle sur la prison » s’agace un peu la directrice. Il faut donc être aux aguets. Chaque détenu surpris avec un objet illégal risque une procédure disciplinaire voire des poursuites judiciaires supplémentaires.

En racontant son quotidien derrière les grands murs de la maison d’arrêt de Tours (située près de l’arrêt de tram Charcot, en plein centre-ville), Dominique Lizé espère donc casser un peu tous les préjugés qui courent sur ce qu’il se passe ici en insistant sur le côté humain de son travail, sur les « bonnes surprises » qui peuvent apparaître. Bref, « ce n’est pas comme dans les séries américaines ». Des programmes qu’elle ne regarde d’ailleurs pas. Ainsi, même si ce métier lui demande une grande force psychologique, « quand je sors le soir, je passe assez facilement à autre chose » nous dit-elle.

Olivier COLLET

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