« De nombreux éléments choquants, douloureux » : voilà comment le président de l’Université de Tours Philippe Roingeard réagissait à la remise d’un rapport sur les dérives des soirées étudiantes à la fac de médecine de Tours. C’était le 24 mars, et à ce moment-là l’établissement avait annoncé l’arrêt total des soirées conventionnées avec les associations étudiantes ou encore l’interdiction d’accès aux locaux universitaires pour les structures non labellisées par la direction.
Ces décisions faisaient notamment suite aux dérapages répétés lors de soirées chapeautées par L’Association des Carabins de Tours, et en particulier le déploiement d’une banderole sexiste et dégradante à la rentrée 2024. Il était également question de bizutages qui dégénèrent avec « des actes dégradants, des consommations excessives d’alcool au-delà de ce qu’on pouvait imaginer » ou encore des étudiantes « forcées de faire un strip tease intégral ou de montrer leurs seins ».
On parlait même de rapports sexuels oraux forcés, autrement dit des viols, et donc des crimes aux yeux de la loi. Des témoignages douloureux alors que la fac de médecine a également dû affronter l’affaire Nicolas W., un étudiant accusé d’agressions sexuelles sur plusieurs camarades sur la période 2017-2020. Condamné par la justice, il a récemment été exclu pour 3 ans de tout cursus universitaire public.

Où en est-on aujourd’hui ? L’enquête pénale sur les abus des soirées est toujours en cours. Du côté de l’Université, une procédure disciplinaire a été ouverte contre 16 étudiantes et étudiants accusés d’avoir organisé des événements où il y a eu des actes inadmissibles.
La fac tourangelle souhaiterait que l’enquête soit pilotée par la commission disciplinaire d’une autre ville (comme pour Nicolas W.) mais le processus s’avère complexe et elle pourrait donc gérer le dossier elle-même pour une décision espérée avant le mois de décembre. Une partie de ces jeunes pourraient également être visés par des accusations pénalement répréhensibles.
Pour éviter que de tels actes se reproduisent, l’Université annonce avoir déjà engagé 24 des 27 mesures annoncées à la presse tourangelle au début du printemps. Les trois autres seront mises en place à la rentrée dont un cursus de formation obligatoire d’une vingtaine d’heures pour tous les étudiants en médecine de 2e année afin de parler du consentement, de la soumission chimique, des profils d’agresseurs ou des répercussions psychiques des violences. Un cycle qui sera suivi d’un examen, et même d’un rattrapage s’il est raté. 330 à 350 étudiantes seront amenés à le passer.
La fac va également muscler son dispositif de prévention via le recrutement de psychologues dédiés à la face de médecine et à la face des futurs dentistes. Et il y aura des entretiens obligatoires pour tous les élèves en 2e et 5e année de médecine pour chercher à libérer la parole sur les potentiels abus subis, mais aussi sur l’état de santé mental en général.
« On le fait à cette période car on sait que la période 20-25 ans est la plus sensible, que c’est aussi le moment où les étudiants sont dans le dur au niveau de leurs stages hospitaliers, qu’ils sont par exemple confrontés à des corps » justifie le doyen de la fac de médecine tourangelle Denis Ancoulvant, précisant que ce programme a été établi en s’inspirant de ce qui se faisait dans d’autres établissements comme à Brest, en Bretagne.

En complément, l’Université de Tours prévoit une campagne de sensibilisation généralisée dès septembre et renforce sa cellule d’écoute en prévoyant un partenariat avec l’association France Victimes pour un dispositif entièrement réservé aux étudiants (et non plus partagé avec le personnel). « Cela a été coconstruit avec les étudiants qui pensent que la parole sera plus libérée avec une association extérieure » défend le président Philippe Roingeard. 3 nouveaux témoignages ont tout de même été reçus depuis l’appel lancé fin mars. Et d’autres personnes réfléchiraient à parler.
Au sujet des soirées étudiantes actuellement interdites, elles pourront reprendre à la rentrée 2025 mais avec un encadrement renforcé « pour faire le plus possible de prévention » justifie Véronique Abasq vice-présidente de l’Université chargée de la santé et de l’accompagnement social des étudiants indiquant que désormais la fac soutiendra uniquement les événements d’associations préalablement labellisées, et qui auront donc signé les chartes de prévention des violences sexistes et sexuelles.

Actuellement, 120 structures sont autorisées, et une quinzaine d’autres se trouvent en dehors des clous dont 2 en médecine. L’Association des Carabins de Tours s’est, elle, autodissoute après le scandale (ses activités éducatives de tutorat ont été reprises par une autre entité).
Même pour les soirées labellisées, l’Université de Tours annonce le renforcement des contrôles avec la possibilité de venir faire des vérifications sur place ou d’étudier de près les factures après coup (par exemple pour pointer la quantité d’alcool qui a circulé). Avant chaque rendez-vous, les organisateurs devront rencontrer le Service de Santé Etudiant et remplir un questionnaire. « C’est en fonction de ça qu’on donnera le feu vert ou non » commente Véronique Abasq. Et dans tous les cas, chaque dossier sera signalé à la préfecture pour assurer un suivi des autorités.
Olivier Collet