Ainsi se termine notre série de portraits réalisés par 4 étudiants tourangeaux. Grande question : comment une femme s’impose dans un milieu politique très macho ?
Pourriez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Sophie AUCONIE, j’ai 51 ans et je suis maman de 4 garçons. Je suis ancienne Députée Européenne, très impliquée dans le monde politique, élue de la ville de Tours, vice-présidente de mon parti politique au national (UDI) et je suis gouverneure au Conseil Mondial de l’Eau.
Parlez-nous de votre parcours professionnel.
Après un diplôme supérieur en commerce et management à l’ESCEM de Tours, j’ai créé une entreprise de secrétariat d’appels communs pour des médecins et des professions libérales, que j’ai ensuite revendue. J’ai été plusieurs fois directrice d’une agence immobilière à Tours. J’ai également été directrice du développement économique pour la Chambre de Commerce et d’Industrie de Touraine. Ma carrière politique a débuté en 2008 avec un mandat de Députée Européenne en 2009.
Pourquoi ce métier ? Qu’est-ce qui vous a motivé ?
Selon moi, il est important que des femmes s’engagent pour la cause publique. Je considère qu’aujourd’hui, trop d’hommes sont à la gouvernance politique. Les femmes ne sont pas suffisamment engagées en politique, c’est pourquoi nous avons du mal à nous y faire une place. J’ai souhaité m’engager pour faire de l’Europe, de la France, de la Touraine, ce que je voulais qu’il soit ou qu’elle soit pour mes enfants.
Quels genres de missions vous sont confiés ? (Responsabilités associées ?)
En tant qu’élue et parlementaire, j’étais très engagée sur plusieurs thématiques (environnement, santé publique, sécurité alimentaire, l’eau) et également dans le monde du sport de par mon statut de présidente de l’intergroupe sport du parlement européen. Mon engagement concerne aussi la femme puisque je suis présidente nationale de Femmes au Centre. Ainsi, les missions qui me sont confiées sont plutôt dans ces domaines d’activités, au niveau national, européen et international.
Cela n’a pas été trop dur pour vous faire une place ?
C’est difficile de se faire une place puisque dans la culture française, la politique est le dernier lieu d’opérations militaires et guerrières. D’ailleurs, la sémantique est très militaire et guerrière (combats, adversaires, alliés, ennemies, « on va le tuer »). Les hommes ont alors énormément de mal à imaginer la femme dans ce milieu guerrier. La difficulté pour une femme, c’est que finalement, tout est irrationnel, plus vous êtes bonne, bosseuse, talentueuse, plus vous avez d’énergie, plus vous êtes une cible. Dans une entreprise, quand vous ramenez du chiffre d’affaires, vous êtes chouchoutée même si au départ vous n’étiez pas forcément légitime. En politique, c’est le contraire, plus vous êtes visible, accessible, reconnue, plus vous êtes un danger pour les autres. C’est un monde difficile parce qu’il est totalement irrationnel.
Quels ont été les obstacles majeurs que vous avez rencontrés pour en arriver là ?
La parité est l’obstacle majeur. Lorsque mon parti politique m’a proposée d’être candidate pour les européennes, au départ j’ai refusé parce que j’avais 4 enfants dont deux petits et ça signifiait laisser mes enfants. Avant d’accepter, j’ai organisé un référendum familial lors d’un repas le dimanche midi. Après avoir expliqué l’aventure qui m’était proposée, chacun a déposé son bulletin dans l’urne qu’avait conçu un de mes fils. L’aventure a été adoptée à 8 voix pour et étonnement, seul les deux femmes ont voté contre, ma mère et ma belle-mère. Tous les hommes étaient pour, et les deux femmes qui auraient d être les premières à dire oui étaient contre, parce que ce n’est pas dans notre culture. Dans leur esprit, j’allais souffrir et j’allais forcément sacrifier ma famille.
J’ai été à Bruxelles, éloignée de ma famille, j’ai bossé jusqu’à 17 heures par jour. Ca m’a permis d’arriver n°1 des 74 députés européens français, et là, d’illégitime, je suis passée à un statut de potentiellement dangereuse. Alors, ce qui est compliqué, dans cette fonction, dans ce monde politique, c’est cette faculté qu’a l’environnement de sans cesse remettre en cause votre engagement, justement quand vous êtes dans un véritable engagement.
Comment se passent vos relations avec les hommes dans votre travail ?
Aujourd’hui, par mes pairs, je suis reconnue comme une femme bosseuse. En revanche, on a encore du mal à être entendues, mais c’est partout pareil. Par exemple, quand nous sommes dans une assemblée hommes/femmes (il y a toujours beaucoup plus d’hommes que de femmes), et qu’on traite un sujet, l’homme prend systématiquement la parole, même si c’est pour dire exactement la même chose que l’exposé précédent, parce que c’est un statut de prendre la parole. Nous les femmes, nous ne prenons la parole que quand on a le sentiment que ce que l’on va dire peut être une valeur ajoutée à l’ensemble de la discussion.
Sur une échelle de 1 (très faible) à 5 (très fort), comment percevez-vous l’écart de votre salaire avec vos collègues masculins ?
En politique, les salaires sont exactement les mêmes, une indemnité d’élu est la même, qu’on soit homme ou femme. En revanche, les femmes sont moins représentées à l’assemblée nationale, au Sénat ou dans les mairies. Aussi, les hommes sont toujours « tête de liste », la femme est n°2 et le n°3 est un homme. Une fois les élections terminées, la femme, pourtant n°2 ne devient pas première adjointe par exemple à la mairie, c’est toujours le 3ème qui le devient. De ce fait, les salaires ne sont pas les mêmes, entre l’élu qui est le maire, le 1er adjoint qui a une certaine délégation du maire, et ensuite les adjoints classiques. Ça veut dire qu’il y a quand même une disparité de salaire parce qu’il y a une prédominance, une omniprésence de l’homme sur les fonctions clés.
La condition physique est-elle exigeante ?
Ah oui ! Ce sont des nuits très courtes, de longs trajets en transport, des réunions qui s’enchainent, pas toujours au même endroit donc il faut courir. Quand on est élu et qu’on est engagé, on est présent du lundi au lundi, on ne s’arrête jamais, donc il faut être en très grande forme.
Avez-vous une anecdote, un fait qui vous a marqué dans votre profession ?
Oui, plusieurs anecdotes, la première, ce sont des rencontres exceptionnelles. Par exemple, Mohamed Yunuss, le banquier des pauvres du Bangladesh (prix Nobel de 1986), un homme exceptionnel et lumineux. Je pense que Gandhi devait être pareil en fait, c’est un homme qui était pour moi, voilà, une des raisons pour lesquelles perdre mon mandat a été supportable parce que je n’ai jamais oublié ce qu’il m’avait permis comme rencontre.
Et puis des anecdotes moins drôles, avec des souffrances, en tant que députée, en tant que femme, des trahisons de la part de nos amis, donc des histoires personnelles parfois un peu compliquées et difficiles objectivement, et je ne suis pas sûre que l’on vive ça dans le monde du travail classique.
Que diriez-vous à une femme qui hésiterait à se lancer dans un métier où beaucoup sont des hommes ?
Foncez ! Il faut que, nous les femmes, nous fassions exploser ce plafond de verre, qui existe, mais que nous alimentons parce que l’on y est trop soumises. Nous avons accès à toutes les fonctions, parce que notre pays, légalement, nous y autorise. Le problème, c’est que l’on est trop complexées et parfois on ne s’autorise pas ces métiers. En revanche, il faut que nous les femmes nous apprenions la solidarité, et ça on ne sait pas faire, nous ne sommes pas capable d’une certaine solidarité à des fins personnelles, à des fins carriéristes alors que les hommes savent très bien le faire. Et c’est tout notre défaut, c’est toute notre faiblesse ! Aussi, Les hommes ont un réseau. Les femmes le font moins, pour une raison très simple, leur vie de famille, puisque le soir c’est beaucoup plus difficile ou culpabilisant d’être dehors plutôt que chez soi. Et je pense qu’il faut que nous apprenions le réseau, c’est-à-dire que voilà, on est un couple, on se partage les missions.
Propos recueillis par Anaïs BOURDONNET, Lucile BERNARD, Marine BRUNET et Clément MIRANDA
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