Esprit Féminin, Emploi Masculin : Audrey Fouret, mécanicienne dans l’aéronautique

4ème interview de nos étudiants de l’IUT de Tours. C’est du côté de la mécanique que l’on se tourne pour découvrir une jeune femme pleine de vie…

Pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Audrey Fouret, j’ai 26 ans et je travaille à TLD Europe à Sorigny. On fabrique des tracteurs d’avion.

Parlez-nous de votre parcours professionnel.

Mon parcours scolaire a été assez tumultueux, j’ai passé un Bac STI (Sciences et Technique de l’Ingénieur) option productique, et après je suis passée au BTS MAI (Mécanique et Automatismes Industriels). J’ai été de petits boulots en petits boulots en me faisant ma place et je suis arrivée à TLD.

Pourquoi ce métier ? Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Tout d’abord, il fallait que je trouve ma voie, et ça s’est passé dès la seconde, où je me suis trompée dans le plan de l’établissement. Du coup je me suis rendue compte que le technologique c’était peut-être pour moi, fabriquer des choses, savoir comment ça fonctionne.

Quel genre de missions vous sont confiées ? (Responsabilités associées ?)

Aujourd’hui je suis dans un bureau d’études. Mes missions c’est soutenir l’ingénieur, être son assistante. Donc il me donne des petits travaux à faire – qui ne nécessitent pas de gros calculs, etc. – même si dans ma formation on les a faits. Sous validation de ce qu’il fait, je fais de la conception. Sur nos tracteurs, cela peut être une option particulière qu’un client nous demande, comme un marchepied, un klaxon particulier à mettre en place, changer le moteur… Et là actuellement on est sur des gros projets environnementaux et on doit changer beaucoup, beaucoup de moteurs, faire un traitement des polluants… On m’a mis sur des gros sujets comme ça en sujet de fond.

Les hommes qui travaillent avec moi aujourd’hui, ils me donnent certaines tâches par exemple question design. On ne fait pas du tout de design dans notre boîte, et quand ils veulent changer un petit truc pour que ce soit un petit plus joli pour faire face à la concurrence, « Audrey elle est là, on va lui demander ». Je trouve ça bien, c’est valorisant. Ils me demandent mon avis, ils trouvent que j’ai des qualités. Il faudrait qu’ils en fassent autant avec tous les autres, dans tous les services qui existent.

Cela n’a pas été trop dur pour vous faire une place ?

Alors ma place, si, elle a été dure à faire. J’ai fait mes preuves à l’atelier, avec des hommes autour de moi – j’étais la seule fille, sur 100 hommes. J’ai su me faire remarquer et du coup mon caractère, et ma motivation ont permis que je monte directement en bureau d’études – pratiquement juste en faisant un petit test sur le PC. Et là dans le bureau d’étude : bizutage, à tire larigot. Ça fait 10 mois que je suis au poste au Bureau d’Etudes et mon bizutage n’est pas fini. Mais c’est du « bizutage gentil », comme dérégler le siège, avoir des post-it partout sur son écran, faire le café…

Quels ont été les obstacles majeurs que vous avez rencontrés pour en arriver là ?

Déjà, la famille. Il fallait que je convainque mes parents de partir dans une filière où il n’y avait que des garçons. Et en sortant de BTS on va dire qu’il n’y a que moi qui n’ai pas trouvé de travail. Envoyer 80 lettres pour trouver du boulot, et avoir des réponses comme quoi « votre profil ne correspond pas » alors que je suis sortie deuxième de ma promo et que les postes ont été pris par les derniers de ma promo.. Je ne vois pas où mon profil est gênant à part que je suis une femme. C’est assez frustrant, et on s’y résout. On baisse les bras, et en fin de compte il ne faut pas. Dans un atelier, on peut montrer ce qu’on vaut, et changer l’idée qu’ils ont des femmes dans l’industrie.

Combien y a-t-il de femmes sur votre lieu de travail ?

Dans mon entreprise, je suis toute seule au Bureau d’Études. Il y a une femme qui est au service qualité en tant qu’Ingénieure Qualité. Elle est toute seule dans son domaine également. Et on a une femme magasinier. « Côté hommes » on est 3, et certaines arrivent mieux que d’autres à faire leurs places, parce que je vois ma collègue qui est aux magasins qui a pratiquement le même diplôme que moi et qui galère autant. Il faut avoir une certaine force de caractère face au monde aujourd’hui, et je trouve ça dommage.

Comment se passent vos relations avec les hommes dans votre travail ? Vous sentez-vous avantagée ? Désavantagée ?

Non, pour mes chefs je suis au même niveau. C’est entre nous, on voit que… je suis le larbin (rires). Mais je le prends bien, je suis la petite nouvelle qui vient d’arriver, ça va changer. Mais niveau chef je suis au même niveau que les hommes, ils me demandent mon avis autant qu’eux.

Avez-vous déjà eu des retours négatifs par rapport au métier que vous exercez ?

Oui, il y en a. Par exemple quand je dis que je fais des tracteurs d’avion on voit le regard des autres. On voit « mais qu’est-ce que tu fais là-dedans ? Qu’est-ce que tu fais à fabriquer des tracteurs d’avion ? C’est gros, c’est énorme, c’est moche, on ne sait même pas à quoi ça sert. Et tu fais quoi, tu fais les papiers, tu fais les stickers ? ». Non non, je les construits, je les monte, je fais les prototypes, je fais les moteurs. L’image que les gens ont… Quand je vais distribuer la soupe aux gens de la rue, quand on discute pour faire connaissance et que je leur dis ce que je fais « mais… mais t’es un mec ? ». Non non, je suis une femme, je m’appelle Audrey. Mais après je leur explique que c’est ce que j’aime faire, d’expliquer ce qu’on aime dans ce métier. Je me vois pas coiffeuse, je me vois pas instit’, mon truc c’est la mécanique. Et les gens, on voit qu’ils commencent à sourire et à comprendre ce qu’on vit et ça commence un peu à changer.

Comment vos proches perçoivent-ils le fait que vous exerciez ce métier ?

Ma mère a pleuré quand elle m’a achetée mon bleu de travail. Tout simplement. Et après j’ai continué, j’ai passé mon Bac avec mention excellent, j’ai passé mon BTS. Et tout ça, envers et contre toute la famille. Mais moi ça me plaisait, ils ont vu que mes notes s’en ressentaient. Et que mon moral s’en ressentait aussi.

La condition physique est-elle exigeante ?

En Bureau d’Études pas trop mais quand j’étais à l’atelier oui c’était nécessaire de se tenir en forme, d’aller courir le soir, de faire un peu de musculation pour ne pas être laissée de côté et montrer qu’on en veut. Après, c’est les hommes en général à qui il faut montrer qu’on est là comme eux, qu’on fait les mêmes choses qu’eux, et même si on n’a pas la même force physique qu’eux, on arrive à se débrouiller, à trouver des manières de faire plus astucieuses. Par exemple pour monter une roue. Une roue qui fait 1m50 de haut. La monter à main, je peux pas, j’ai pas les biscotos pour, enfin c’est évident. Bah unepetite astuce, avec un levier. Ça m’évite de me casser le dos, et je ne demande pas d’aide. Aujourd’hui, il y a la moitié des hommes de l’atelier qui utilisent cette méthode parce qu’à force ils ont mal au dos et ils ont trouvé ça bien, de faire ça sans se forcer.

Avez-vous une anecdote, un fait qui vous a marqué dans votre profession ?

J’ai eu des problèmes judiciaires vis à vis de mes collègues. Des blagues d’atelier, salaces, et il y en a qui ont été plus loin que ça, donc j’ai été obligée de porter plainte, etc… Du coup maintenant il y en a qui me mettent carrément de côté, d’autres qui me considèrent carrément comme leur égal – comme un mec. Quand ils parlent de nanas, ils croient que je suis lesbienne donc ils parlent de nanas devant moi. Et il y en a qui me diraient « mais c’est pas flatteur qu’ils te prennent comme leur égal, comme un mec ». Mais si, parce que maintenant ils ne font plus de différences. Ils me voient plus en tant que « fille », ils me voient en tant que « collègue ». Et ça c’est énorme.

Que diriez-vous à une femme qui hésiterait à se lancer dans un métier où beaucoup sont des hommes ?

D’y aller à fond, à fond, à fond. Juste prendre son courage à deux mains, et ne pas écouter ce que disent les autres. Faut y aller. Si on aime, si on veut faire ça, si on aime ce qu’on fait, y’a pas de raison qu’on réussisse pas. Si on fait ce qu’on aime on réussit. Pour moi c’est le mot d’ordre pour toutes les professions, que ce soit un homme qui veut faire coiffeur parce que c’est assez difficile pour lui, une fille qui veut faire ingénieur, ou une fille qui veut faire coiffeuse aussi. Enfin c’est… Si on aime ce qu’on fait on réussira. Donc, une fille qui veut rentrer dans l’industriel, mais même elle m’appelle, je l’aide (rires).

Propos recueillis par Anaïs BOURDONNET, Lucile BERNARD, Marine BRUNET et Clément MIRANDA

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