Urgences à Tours : en moyenne 45 minutes avant la première prise en charge

Les critiques se multiplient au sujet de l’organisation du service.

Il y a quelques jours, alors que l’épidémie de grippe faisait la Une de tous les médias en France, Marisol Touraine est passée en catimini à l’hôpital Trousseau de Chambray-lès-Tours. La ministre de la santé était sur sa circonscription de députée PS. Pour ce déplacement, elle n’a prévenu (quasiment) personne. Pas de cortège officiel comme la semaine d’avant au commissariat de Tours et chez les gendarmes. (Presque) pas de presse dans ses talons… Et comme lors de son déplacement précédent elle a agacé le monde syndical. Le 6 janvier, les syndicats de policiers avaient râlé à cause de l’annulation d’un rendez-vous avec le préfet prévu pendant ce déplacement et les syndicats de la santé lui avaient reproché de ne pas les rencontrer. Ces derniers en remettent une couche cette semaine, accusant la ministre d’être à mille lieues de la réalité…

C’est la CFTC des pompiers d’Indre-et-Loire qui a dégainé en premier. Un communiqué publié dans le week-end où le syndicat fait part de son « étonnement » suite à la déclaration de la ministre à la NR : « le CHRU de Tours a des urgences à la hauteur de son activité ». « Il n’y a pas besoin de la grippe pour que ce service se transforme en bouchon sanitaire » s’alarment les représentants des soldats du feu : « depuis plusieurs mois et années, nous constations et subissons l’augmentation du temps d’attente de nos véhicules de secours. Malgré plusieurs signalements à notre hiérarchie, il semble que cela ne préoccupait guerre de monde. »

Alors pour frapper un grand coup, la CFTC a sorti les chiffres issus de ses statistiques informatiques. Pour bien les comprendre, expliquons le contexte : quand les pompiers se rendent aux urgences avec une personne blessée, ils sont dans la même situation que vous et moi lorsque l’on a un bobo : ils arrivent à l’accueil, expliquent pour quoi ils viennent puis patientent dans la salle d’attente. Une attente obligatoire pour eux, question de responsabilité vis-à-vis de la victime, et ce jusqu’à ce qu’une infirmière la prenne en charge de l’autre côté de la porte et la dirige vers les services médicaux. Donc, sur 2 805 interventions des pompiers qui se sont terminées aux urgences du CHU entre mai et septembre 2016, 2 587 ont connu un temps d’attente supérieur ou égal à 30 minutes, environ 15% plus d’1h30. Le record ? 5h42. Et ce avant la première prise en charge. Car après, il y a bien souvent encore de l’attente avant les soins. Le temps d’attente moyen est de 45 minutes, environ une intervention sur 3 a duré moins de 3/4h.

Les pompiers ont fait le calcul : en 5 mois ils ont attendu 2 857h et 36 minutes à Trousseau, soit l’équivalent du travail annuel de 3 sapeurs pompiers professionnels. Le président du syndicat Cyril Poupault est atterré : « ça fait plusieurs années que l’on rencontre ces difficultés et c’est quelque chose de plus en plus récurrent. Je ne sais pas qui fait croire à Mme Touraine que le monde des Bisounours est réel. Elle ne se rend pas compte des conséquences : les victimes ne comprennent pas pourquoi elles attendent, d’une part. De plus, ça a une incidence sur notre organisation. Lorsqu’une ambulance du sud Touraine vient au CHU et qu’ils ont 1h de route c’est des interventions qui frôlent les 3h. Des interventions essentiellement assurées par des pompiers volontaires dont les employeurs se posent des questions sur la longueur de leurs absences. On a 3-4 pompiers volontaires qui ont déjà démissionné à cause de ça. Ils ne supportent plus cette pression là. »

Alors, soyons clairs : le fait que l’attente aux urgences est perçue comme interminable, ce n’est pas nouveau. A Tours, comme ailleurs en France d’ailleurs (à cause du manque de médecins ou des personnes qui ont le réflexe d’aller aux urgences même s’il n’y a rien de très grave). Mais selon Cyril Poupault, on a atteint un point de non-retour en Indre-et-Loire : « dans d’autres départements avec des hôpitaux plus importants ils n’ont pas ces problèmes-là. » Et il pointe un risque supplémentaire : « à Tours on a sept ambulances. Si elles attendent toutes aux urgences, ça nous oblige à faire venir des véhicules d’autres communes (Monts…) et ça rallonge les délais d’interventions. »

Et la CFTC de proposer des solutions : « le temps d’attente fait partie de l’intervention. 15-20 minutes, on peut le concevoir, aucun souci. Au-delà c’est problématique. Ce qu’on suggère c’est qu’l y ait une priorité accordée aux ambulances des pompiers dirigées sur Trousseau par le SAMU. Si le SAMU les envoie là-bas ça veut dire qu’il y a une nécessité particulière. Contrairement à des gens qui viennent avec leur propre véhicule. Et on doit attendre que ces patients passent avant nous… Notre administration s’est fait porte-parole de cette proposition le 20 décembre mais l’hôpital ne semble pas réceptif. »

Mais si les urgences de Trousseau sont surchargées, pourquoi les pompiers ne sollicitent pas plus les urgences privées des cliniques de l’Alliance et Vinci à St-Cyr-sur-Loire et Chambray-lès-Tours. Une bonne question : « ils ne jouent peut-être pas leur vrai rôle d’urgence et font un tri en choisissant éventuellement quels types de pathologies on peut leur transporter ou pas. Il arrive que le SAMU coordonne une orientation sur une clinique et en arrivant ils refusent notre patient parce qu’ils n’ont pas le spécialiste ou pas la place. Eux, ils sont en droit de refuser mais pas Trousseau qui est un hôpital public. »

Un constat partagé par Katia Molineri, représentante du syndicat FO au CHRU. Pour elle la conclusion est claire : « s’il y a le même problème dans les cliniques, c’est bien qu’il y a un manque de lits. » Elle aussi elle est très énervée depuis le passage de la ministre : « elle a désengorgé les urgences lors de sa venue. Ce jour-là, les patients sont partis vers les cliniques. C’est bizarre et ce n’est pas habituel car le service est toujours archi plein. Les filles sont débordées, elles n’en peuvent plus. On ne sait plus où mettre les patients. » Et de citer un exemple qu’une collègue lui a rapporté : « un patient en fin de vie est resté à attendre longtemps dans un box, c’est inadmissible. »

Pourtant, le service des urgences a été réorganisé en 2014, justement après une grogne massive des médecins. Selon les syndicats, ce plan n’a pas porté ses fruits : « ce mardi après-midi, alors que l’on a seulement 3 lits disponibles en service de déchoquage nous avons 8 patients. Ils sont sur des brancards. Dans le circuit court, il y a 4 lits, des patients en occupent 3 et ils sont 6 en attente. Pour le circuit long, on compte 27 lits. Ils sont tous pris et on a encore une vingtaine de personnes qui attendent. Il nous faudrait par ailleurs 3 personnes de plus pour que cela fonctionne bien. Les personnels n’ont pas l’impression de faire correctement leur travail. Certains sont épuisés et souhaitent se reconvertir, changer d’orientation professionnelle. »

FO explique avoir demandé à plusieurs reprises un rendez-vous avec Marisol Touraine : « elle nous a renvoyé vers l’Agence Régionale de Santé que l’on a contactée… et on attend. La semaine dernière, elle est venue sans prévenir qui que ce soit. Ce sont des collègues qui nous ont alerté. » A défaut d’entretien, les syndicats tourangeaux annoncent déjà leur participation à une journée de grève nationale du monde de la santé le 7 mars. Chez les pompiers, la CFTC pourrait elle aussi engager une mobilisation rapidement. Nous attendons par ailleurs la réponse du CHRU à notre demande d’interview pour avoir le point de vue de la direction sur le fonctionnement des urgences de Trousseau afin de pouvoir comprendre les contraintes de chacun.

Olivier COLLET

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