Fausses nouvelles : le gouvernement à côté de la plaque ?

La ministre de la culture a présenté sa loi sur le sujet à Tours.

En France, les fausses informations se reproduisent au moins aussi vite que le virus de la grippe et infestent la toile, voire l’opinion. Un cancer pour les journalistes qui vont même parfois jusqu’à se faire piéger.

Les fausses nouvelles, ça agace aussi le gouvernement. Il n’est pas totalement désintéressé dans cette histoire puisque ses membres et le président Macron sont susceptibles d’en être victime (quand ce n’est pas déjà fait). Alors la ministre de la culture a bien l’intention de faire voter une loi sur le sujet, même si la définition d’une fausse information est déjà gravée dans la législation depuis plus d’un siècle, en l’occurrence depuis 1881.

A l’occasion des Assises du Journalisme qui se poursuivent jusqu’à samedi à Tours Françoise Nyssen est venue expliquer ses ambitions à une profession franchement sceptique (pour info, les débats des Assises sont publics, gratuits, ouverts à tous ainsi que le salon du livre du journalisme prévu ce 17 mars au Vinci). La loi en question pourrait arriver à l’Assemblée Nationale dès la semaine prochaine.

La possibilité de suspendre les émissions d’une chaîne de télé étrangère

Sur le consta, la ministre voit plutôt juste : « la démocratie est menacée par les fausses nouvelles qui alimentent la méfiance » dit Françoise Nyssen. On ajoutera surtout que le mensonge s’institutionnalise et devient parfois plus crédible aux yeux de certains que la vérité. Au niveau des mesures, dans un premier temps la ministre souhaite renforcer les pouvoirs du CSA pour contrôler « les chaînes financées par des pouvoirs étrangers » (en gros, là, elle cible surtout RT France récemment montée par la Russie). L’idée : qu’il soit possible de « retirer la convention ou suspendre la diffusion en période électorale de chaînes qui déstabilisent le scrutin. » Bon courage pour rendre tout cela incontestable.

Deuxio : Françoise Nyssen veut mettre en place des outils de vérification des faits (mais plusieurs médias ne l’ont pas attendue pour ça) et responsabiliser les plateformes de diffusion d’information (Facebook, Twitter, YouTube, Snapchat…) en créant « un devoir de coopération pour leur permettre de retirer les contenus signalés. » Une sorte de charte. Mais alors sur quels critères (combien de signalements, par exemple) ? Sachant que c’est déjà difficile de faire retirer des messages haineux ou racistes aujourd’hui, même s’ils sont contraires à la loi… « Je ne vois pas Google trembler, ils s’en foutront » a noté le journaliste de France 2 Thomas Sotto lors d’une conférence plus tard dans la journée. « On limite le champ mais on ne définit pas clairement ce qu’est une fausse nouvelle » regrette pour sa part Cyril Petit du Journal du Dimanche.

Les réseaux sociaux vont-ils jouer le jeu ?

La suite ? « Imposer aux plateformes, en période électorale, une obligation de transparence sur les contenus sponsorisés qu’elles diffusent » afin de connaître l’identité du sponsor et combien il a investi. Alors pour quels types d’annonces, sachant que les publicités à visée politique sont déjà théoriquement bannies à ce moment-là ? Bah on verra plus tard, la ministre a eu du mal à répondre aux questions et n’a pas fait de point presse. Point phare de sa liste de mesures : avant une élection il serait possible de saisir la justice en référé pour stopper la diffusion de fausses nouvelles en 48h. Dans ce cas ce ne sont pas les auteurs qui seront visés directement mais les plateformes de diffusion qui recevraient un « ordre de suspension. » Comment les obliger légalement à agir ? Où serait la frontière entre une fausse nouvelle en forme de blague potache type Le Gorafi et une fausse nouvelle nuisible ?

Catherine Nayl de France Inter voit une limite nette : « 48h c’est long alors que ces informations se partagent massivement en quelques heures. » « On réagit au nouveau monde avec des outils de l’ancien monde » note Thomas Sotto gêné par le titre même d’une loi comprenant les mots « contrôle » et « information »

Françoise Nyssen avec des journalistes en exil qui ont parlé de leur travail devant des lycéens.

Pour aider les juges, des critères sont imaginés : que la nouvelle soit « manifestement fausse » (pas forcément toujours simple à prouver en 48h) que sa diffusion soit « massive » (à partir de combien de partages c’est massif ?) et point plus surprenant que ses initiateurs achètent de l’audience. Sachant qu’un article peut aisément se partager sans en faire la pub, ce critère sembler éloigné de la réalité.

Priorité à l’éducation aux médias

« L’un des objectifs de la loi est de rappeler les plateformes numériques à leurs responsabilités » lance Françoise Nyssen aux Facebook, YouTube et compagnie. « Elles ne peuvent pas faire du profit sur le dos de la presse, de notre démocratie. » Puis elle ajoute, presque comme un aveu : « cette loi sur les fausses nouvelles est nécessaire. Pour autant, elle ne suffira pas. » Et la ministre de plaider pour un renforcement de l’éducation aux médias avec un doublement du budget (6 millions d’€ au lieu de 3) pour que la discipline soit au programme de tous les enfants. 400 jeunes en service civique seront recrutés pour ça (sur 101 départements) : « mon objectif, d’ici la fin du quinquennat : que toute une classe d’âge ait pu être touchée – que ce soit par un atelier, un cours, l’intervention d’un professionnel devant sa classe… » Mais elle le dit elle-même : il faudra plus que ça pour un réel impact (on le voit avec l’éducation sexuelle : des cours existent mais en tellement petite quantité qu’ils sont inadaptés aux ados).

Bilan : ce texte ne part pas d’une mauvaise intention mais se heurte frontalement à une réalité bien plus complexe que ce que le gouvernement semble voir, entre déontologie, liberté d’expression, mondialisation de l’Internet ou encore diffusion en masse et en continu d’information, le tout avec des entreprises qu’il est très difficile de contraindre. Finalement le volet éducation semble le plus adapté s’il parvient à être à la mesure des enjeux. C’est-à-dire que les enseignants sont au centre du projet. D’ailleurs, selon une enquête Viavoice pour les Assises du Journalisme, 83% des Français veulent plus de place à l’éducation aux médias à l’école ou dans les bibliothèques, sachant que 92% trouvent le journalisme utile.

Olivier Collet

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