« Emmanuel Macron parle beaucoup mais ne dit rien »

A l’approche de la présidentielle, entretien avec un maître de conférences en sciences politiques au sujet du candidat d’En Marche.

Nous sommes à quelques mois, maintenant, des présidentielles d’avril et mai 2017. Plusieurs candidats sont d’ores et déjà sur les rangs. Pour décrypter leurs programmes, les enjeux qu’ils soulèvent, Info-tours.fr a décidé d’interroger des spécialistes de science politique. On commence avec Maxime Dury, Maître de conférences en science politique à l’Université de Bourgogne qui évoque Emmanuel Macron.

De quoi Emmanuel Macron est-il le nom selon vous ?

[Rire] De prime abord, cette question est assez surprenante. [Long silence] Mais, finalement, elle ne l’est pas tant que ça. Elle témoigne en fait…Elle exprime quelque chose de très significatif de nos régimes, elle touche du doigt ce que signifient et représentent ceux qui sont censés nous représenter.

Sauf erreur, une telle question – « de quoi X ou Y est-il le nom ? » – s’est posée pour la première fois au sujet de Nicolas Sarkozy. Maintenant, elle se pose pour tous.

Il me semble que ce qui faisait qu’on ne se posait pas, ou beaucoup moins, une telle question, c’était la réputation, les étiquettes politiques, auxquelles on accordait une valeur, parce que l’on rattachait les représentants politiques à des familles politiques, que l’on attachait ces familles à des significations politiques, et ces significations à une volonté particulière : le socialisme c’est le Front populaire, la droite c’est de Gaulle, l’extrême-droite c’est Vichy… Aujourd’hui, s’il y a encore des étiquettes, elles ne signifient plus rien, parce qu’elles ne correspondent à aucune volonté claire. D’où cette question. Elle se pose pour Emmanuel Macron, mais aussi pour les socialistes. Pour Marine Le Pen, aussi, le FN ayant beaucoup changé. En effet, que veulent au juste les frontistes maintenant ? Cette question se pose aussi pour Fillon, depuis son rétropédalage sur la sécurité sociale.

Comme eux-mêmes ne savent plus trop ce qu’ils veulent, c’est tout à fait normal qu’on s’interroge.

Surtout, cela témoigne de ce qu’est notre démocratie représentative.

C’est-à-dire ?

Nous sommes dans une démocratie représentative, c’est-à-dire une démocratie dont la volonté populaire est exprimée par la volonté des représentants. Le mandat des élus n’est donc pas impératif [NDLR : une conception du mandat politique selon laquelle les élus, tenant leur mandat de leurs électeurs de leur circonscription, doivent se conformer à leurs directives et peuvent être révoqués par eux [2]]. Les représentants sont ainsi libres de leur action. De sorte que tout ce qui est dit avant une élection n’a aucune valeur politique, donc aucun sens réel, du point de vue de la volonté qui s’exprimera après l’élection.

On est en train d’expérimenter ce qu’est le principe de notre démocratie représentative : ce que les candidats disent avant l’élection ne nous dit rien de ce qu’ils feront ensuite, une fois élus. On suppute, on suppose, on lance des hypothèses. Mais tout cela ne dira jamais rien de ce qu’ils feront une fois en fonction.

Macron est l’expression la plus parfaite de cela. Car Macron parle, et même beaucoup, mais ne dit rien. Pour l’instant, Macron, c’est le vide, le néant du sens, et de la volonté. C’est quoi, son projet ? Les Macroniens eux-mêmes le reconnaissent : Emmanuel Macron n’a pas de programme.

Ceci étant, s’il n’a pas de programme selon vous, il n’en arrive pas moins à mobiliser…

C’est d’ailleurs extraordinaire ! On n’arrive à lui accrocher aucune volonté politique particulière mais il mobilise dans ces meetings des milliers de personnes. Ce qui veut bien dire que ce qui compte, ce n’est pas ce qu’il dit, c’est le spectacle et la mise en scène de lui-même.

Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?

Ce que cela peut signifier ? Cela signifie que les individus ne doivent pas être jugés sur leur volonté politique mais sur leur manière de se présenter et de se représenter. Le régime représentatif est d’abord un régime dans lequel des candidats se représentent, devant les électeurs, dans le costume et sous le masque de l’élu. Ainsi Hollande aux dernières élections : « moi, président ». Mais, comme vous le savez, l’action du président n’a rien à voir avec l’image du candidat.

Pour comprendre ça, il faut à mon sens séparer le temps pré-électoral, d’avant l’élection, qui a en fait sa propre logique, du temps post-éléctoral, c’est-à-dire une fois l’élection survenue. Entre ces deux temps-là, il n’y a en quelque sorte aucun rapport. Le temps pré-électoral, sa logique, n’est pas celle d’une définition programmatique. C’est un temps spécifique qu’il faut détacher du temps d’après l’élection. Le candidat, une fois élu, fera ce qu’il voudra.

A quoi s’amuse-t-on alors ? Que font les candidats avant l’élection ? Il ne s’agit pas, pour les uns comme pour les autres, de se définir, mais de se positionner par rapport aux autres, de se différencier les uns des autres, de se trouver une place libre à partir de laquelle on pourra attirer un nombre suffisamment important d’électeurs, en essayant d’empiéter sur l’espace des autres candidats. Plus simplement, il s’agit d’occuper une case, étant entendu que de cette case on doit parvenir à occuper l’essentiel de l’espace politique : la case centriste, la case gaulliste, etc. Le candidat se présente pour occuper cette case dans la mesure où il pense qu’elle n’est pas occupée, qu’elle est donc porteuse, rentable politiquement. Macron, lui, occupant la case centriste, « triangule » à tout va, comme on dit aujourd’hui : « Je ne suis ni à droite, ni à gauche. Je suis partout ».

A vous écouter, Emmanuel Macron n’aurait donc aucune volonté politique propre…

Pas exactement. Tout ce qu’il fait ne veut pas dire qu’il n’a aucune volonté politique particulière, qu’il n’a pas de politique qualifiable, et que l’on peut notamment déduire de ce qu’il a fait en tant que ministre de l’économie. C’est juste que, pendant le temps pré-électoral, donc actuellement, celle-ci n’est pas qualifiable, puisqu’il s’agit d’occuper une place ou une position.  

Si l’on vous suit bien, tout ce qu’il dit, c’est en quelque sorte du pipeau…

Macron, c’est précisément le symbole du candidat à l’élection, quelqu’un pour qui les mots n’ont au fond aucun sens, mais ne sont plus que des « éléments de langage », comme on dit encore aujourd’hui, c’est-à-dire des mots dont on attend un effet de distinction, et de séduction, mais vidés de tout contenu réel. Ainsi « révolution », qui fait le titre de son livre.

Mais alors, si tout ce qu’il dit actuellement ne nous dit rien de ce qu’il fera une fois élu, pourquoi attire-t-il autant ?

On peut ici avancer toutes sortes d’hypothèses, le mieux étant d’interroger ceux qui le soutiennent. Outre bien sûr les socialistes, qui vont à la soupe parce qu’ils savent que l’étiquette socialiste sera pour eux un handicap insurmontable, il y a je crois une dimension subjective déterminante avec cet individu : je veux dire qu’il est la figure même de l’individualisme, et qu’il séduit tous ceux pour qui la politique est d’abord une préoccupation de carrière, une affaire de réussite personnelle. Je me dis que c’est parce qu’il est jeune, et que sa femme, qui est une sorte de mère ayant en charge la fabrication et la préservation de son image, l’accompagne en permanence, et lui garantit une satisfaction narcissique. Du coup, il se sent tout-puissant, indestructible. J’ai été personnellement effrayé par le visage qu’il a présenté à la fin du discours de son premier meeting et que l’on a pu voir sur le net : le visage d’un carnassier. Il m’a fait penser à Hynkel, le dictateur de Chaplin. J’ai pensé que cet homme ne parlait que pour faire grossir son moi. J’en conviens, c’est une position très personnelle, et discutable. Mais je suis de plus en plus attentif à cette sorte de folie qui prend parfois les gens de pouvoir, et qui me semble depuis quelques temps revenir en force avec la personnalisation de plus en plus accentuée de la politique. Voyez, dans un autre genre, Strauss-Kahn, et Trump aujourd’hui.

D’après vous, quand se profile une élection, il faut donc distinguer deux temps… Pourriez-vous développer ?

Oui, celui de la logique pré-électorale, qui ne nous dit plus rien de ce qui se passera après l’élection, que j’appelle le temps pré-électoral. Et celui de la logique post-éléctorale, que j’appelle temps post-éléctoral.

Durant le temps d’avant l’élection, tous les candidats, Macron y compris, s’adressent à des cases, à des catégories pré-établies (« centristes », « racistes », « catholiques », etc.), pas aux électeurs en tant que tels. La ou les cases choisies par les candidats induisent alors l’emploi d’un certain vocabulaire, qui va permettre à celui qui le lit ou l’écoute, de classer le candidat. Mais ce vocabulaire, c’est en réalité juste quelque chose qui permet de différencier, juste un élément d’un dispositif formel. Il ne faut pas tirer de conséquences sur les valeurs, les principes que prétend défendre le candidat qui y a recours.  Encore moins sur son action future.

Macron, c’est ça, c’est le prototype de ce processus-là. Il s’est dit qu’il devait doubler Bayrou, et que la case qu’il jugeait porteuse et sur laquelle il lorgnait pouvait être occupée par François Hollande ou Manuel Valls… Alors il s’est précipité pour l’occuper, pour occuper cette place centriste qui lui semble la plus efficace dans l’optique de l’élection présidentielle, parce que l’espace politique se resserre avec la montée de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Et que la case centrale aurait une place d’autant plus grande et d’autant plus payante qu’il sortirait rapidement du gouvernement, pour ne pas endosser la responsabilité d’une politique à laquelle pourtant il a participé activement.

Aurait-il pu occuper n’importe quelle autre place ? Bien sûr que non : les extrêmes sont pour lui des places interdites. Mais outre qu’entre ces extrêmes, il circule aisément, il ne faut pas en tirer de conséquences sur son action future, en cas d’élection. Car le temps post-électoral est d’une toute autre nature : d’une autre durée, dépendant d’autres circonstances et avec d’autres adversaires.

Vous avez parlé tout à l’heure de triangulation…

Aujourd’hui en effet, un terme revient de plus en plus : celui de triangulation, inventé il me semble par un conseiller de Clinton, lorsque celui-ci s’est retrouvé face à un Congrès républicain. Il est particulièrement adapté au dispositif pré-électoral : trianguler, cela consiste à récupérer des thèmes venant de ses adversaires de gauche et de droite, pour mieux se placer au-dessus des deux camps, et leur retirer le vocabulaire grâce auquel ils avaient constitué leur espace politique, pour rafler la mise, gagner l’élection, en occupant une place centrale.

Que pensez-vous de son livre, intitulé Révolution ?

Ce qui est significatif, dans la mesure où il est évident qu’Emmanuel Macron est tout sauf révolutionnaire, c’est qu’avec un tel titre, il cherche à bénéficier des retombées antisystème induites par le terme même de « révolution », plutôt associé à l’extrême gauche, voire à l’extrême droite. Avec ce livre, là encore, il triangule à tout va.

Si on regarde maintenant la quatrième de couverture du bouquin en question, quelque chose est extrêmement significatif : il n’y a rien d’autre que son image. Habituellement, à cet endroit-là, on trouve une espèce de résumé de ce qu’on peut lire dans le livre. Là, son image se substitue à toute forme de discours. Cela montre bien qu’il est entièrement dans une logique de « représentation de lui-même ». Son programme ? C’est son visage photographié.

En ce sens, il est l’image même de ce à quoi conduit notre démocratie représentative. C’est aussi l’image parfaite de ce que Guy Debord a appelé « la société du spectacle », dans laquelle une image a vocation à entièrement se substituer au réel.

En définitive, s’il est élu, que fera Emmanuel Macron selon vous ?

Ce qu’il voudra. Car dans notre démocratie représentative, ce qui compte, c’est la volonté de ceux qui sont élus, pas celle des électeurs. On l’a expérimenté avec le rejet par le peuple français du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, finalement adopté par la représentation nationale peu après, contre la volonté même du peuple, exprimé très nettement lors du référendum du 29 mai 2005… Il fera donc ce qu’il voudra. Ce qui ne veut pas dire, d’ailleurs, qu’il ait une volonté politique réelle : car il peut n’être, au fond, qu’un bon élève et un bon représentant de commerce.

Propos recueillis par Samuel Bon

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